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Expositions

 

 

 

 

 

Tadjikistan. Au pays des fleuves d'or

 

 

 

 

 

Le Tadjikistan fait partie de ces contrées mystérieuses que l'on a du mal à situer et dont on entend parler de temps en temps et pas toujours en bien. Sa capitale Douchanbé ne passe pas non plus pour un des hauts lieux de la culture. Heureuse surprise une exposition organisée au musée Guimet à Paris et qui doit sans doute plus au calendrier diplomatique qu'à une urgence scientifique ou esthétique vient nous rappeler qu'il s'agit d'une vieille terre à l'histoire riche et complexe où sculpteurs, bâtisseurs, fresquistes, artisans ont œuvré au cours de plusieurs millénaires laissant derrière eux d'admirables exemples de leur savoir faire. La manifestation a été organisée à l'occasion du trentième anniversaire de la création de la toute jeune république tadjike, détachée de feue l'URSS. Elle réunit des objets venant du musée national des antiquités du Tadjikistan à Douchanbé, mais aussi du British Museum, de l'Hermitage, de la bibliothèque nationale de France et du musée Guimet.

 

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Pays montagneux et pauvre, mais riche en minéraux dont l'or charrié par l'ancien Oxus aujourd'hui l'Amou-Daria ce qui fit sa fortune autrefois, situé en Asie centrale sur la millénaire route de la soie, le Tadjikistan s'étend aux pieds du Pamir entre la Chine, l'Afghanistan, l'Uzbekistan et le Kyrgyzstan. Carrefour où se rencontrèrent hommes et civilisations il ne fut jamais le centre d'un des grands empires qui se développèrent dans la région mais en tant que province il garde de nombreuses traces de leurs cultures. Un panneau à l'entrée retrace ce long parcours historique qui va du quatrième millénaire avant Jésus Christ à l'établissement de l'émirat indépendant Samanide au Xe siècle, temps de l'implantation définitive de l'Islam. Perses, Grecs, Iraniens, Chinois, Arabes sont passés ici et ont, chacun, marqué le pays ; on n'aura garde d'oublier, au Nord, les nomades des steppes, les Scythes, ou, à l'intérieur des frontières, ceux des montagnes. On ne saurait trop recommander de lire ou relire l'ouvrage de Peter Frankopan Les routes de la Soie, l'histoire du cœur du monde, paru récemment en livre de poche, pour une vision moins ethnocentrée sur l'Occident.

 

Route de la soie, signifie passage de caravanes, importation de produits de luxe, découverte de savoirs-faire, brassage d'idées et de religions. On ne s'étonnera donc pas si l'art du Tadjikistan se caractérise par son métissage. Les cultures se sont influencées les unes les autres, parfois cette action a perduré des siècles après leur disparition. Par exemple, le souvenir de l'art des royaumes grecs de la Bactriane (successeurs d'Alexandre le grand) imprégna deux siècles après leur effondrement les sculptures du premier Bouddhisme ; c'est l'art du Gandhara.

 

Tadjic2Deux pierres du 4e ou 3e millénaire av. J.-C. et provenant du site de Sarazm accueillent le visiteur, on ne sait trop leur usage mais leur taille respectable en fait des objets hors du commun: cela ne rend que plus mystérieux ces deux artefacts venus de la nuit des temps. On donnera également le rang d'objets d'art aux pointes de flèches (3e millénaire), en agate, disposées en quadrillage chatoyant de par l'éclat du matériau.

 

Plus loin, l'Orant de terre cuite, de l'âge du bronze, toujours de l'important site métallurgique de Sarazm, évoque irrésistiblement par sa gestuelle et son vêtement attitude les personnages de la Mésopotamie de l'époque. Mais plus spectaculaire dans la salle suivante sont les ibex ou le zébu en bronze, éléments de trônes de grande taille, bien observés malgré leur stylisation. Ils sont contemporains de l'empire de Darius (Ve et IVe siècle av. J.-C.) et fortement inspirés de l'art, achéménide. Les artisans du pays excellaient dans la représentation animale comme en témoignent les petits bronzes exposés dans les vitrines et un avant-train de chameau sur une plaque d'or de la même époque. Plus de mille ans plus tard les Chinois de l'ère Tang modèleront avec une verve identique des mingqis à l'image de ces animaux irascibles mais indispensables ainsi que leurs palefreniers sogdiens ou tokhariens, le musée Guimet a prêté quelques exemplaires.

 

Maisons, palais, forteresses, temples étaient construits en adobe, ou en brique de terre crue, ils ne sont plus qu'amoncellements informes - du temple de l'Oxus subsistent, où fut utilisée la pierre, trois chapiteaux ioniques, d'un style unpeu abâtardi. Le décor sculpté était aussi modelé ce qui explique l'état dégradé des têtes grecques pleines de charme ainsi que les statues plus grandes dans l'espace consacré au royaume gréco-bactrien -. On aurait aimé que des maquettes viennent illustrer quelques constructions caractéristiques : car enfin un temple du feu ne ressemble pas à un temple grec encore moins à un monastère bouddhique... Il faudra se contenter de statuettes, bijoux, monnaies ou de quelques épaves trouvées lors de fouilles, décorations de meubles et de coffrets, vaisselle, vêtements, et ce, dans les matériaux les plus variés : bronze, ivoire, verre, terre cuite, pierre incrustée, tissus précieux.

 

L'or abondait, témoin la spectaculaire monnaie Vingt statères d'or d'Eucratide 1r ( souverain grec de Bactriane 170-145 av. J.-C.), la plus lourde pièce d'or de l'antiquité connue qui nous soit parvenue ou encore la boucle de ceinture, du 2e ou 1r siècle av. J.-C., représentant un chasseur à cheval terrassant un sanglier. L'objet, incrusté de verre coloré à l'origine, est typique : le personnage, de type mongoloïde, le réalisme hellénistique du groupe hippique s'opposant, le traitement du fauve proche de l'art des steppes...

 

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De l'empire Kouchan au début de notre ère aux cités marchandes qui lui ont succédé a régné une relative période de paix et prospérité. De grandes fresques, difficiles à déchiffrer, des restes de sculptures sur bois calcinées, provenant d'un palais incendié, des fragments de statues en terre crue polychrome issus de monastères bouddhiques subsistent de ces temps plus apaisés : La jolie tête de femmes du VIIIe s., trouvée à Adjina-Tepa, est bien séduisante.

 

L'exposition se termine sur l'évocation de l'émirat Samanide (875 – 999), premier et dernier état proprement tadjik musulman. Parmi la vaisselle de luxe, les gypseries et les monnaies d'or et d'argent, une pièce exceptionnelles se détache un brûle-parfum de bronze fondu et ciselé dans le tout proche Khorassan. Non sans un certain humour, il affecte la forme d'un animal, un félidé pas très réaliste mais expressif qui ressemble plus à un gros chat qu'à un lynx comme l'affirme le cartouche.

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tadjikistan

Au pays des fleuves d'or

Jusqu'au 10 janvier 2022

Musée national des Arts asiatiques – Guimet

6, Place d'Iena, 75116 Paris

Internet : www.guimet.fr

Tél. :

- Horaires et tarifs : ceux du musée, tous les jours sauf le mardi de 10h à 18h ; 11,50€ et 8,50 €.

- Publication : Tadjikistan. Au Pays des fleuves d'or. - coédition, MNAAG - Snoek, 288p., 230 ill., 39€.

- Autour de l'exposition : visites découvertes les lundis, jeudis, vendredis et samedis à 14h, durée 1h30, 8€, visites descriptives et en langue des signes,