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Expositions

 

 

 

Peindre hors du monde

Moines et lettrés des Dynasties Ming et Qing

 

 

 

 

 

S'abstraire du monde en périodes de turbulence est une tentation vieille comme le monde et se retrouve dans toutes les civilisations. Selon des modalités très différentes, certes, mais où l'on retrouve un même désir de fuite la même aspiration au ressourcement ainsi que l'on le jargonne aujourd'hui :

« Trahi de toutes parts, accablé d'injustices

Je vais sortir d'un gouffre où triomphent les vices

Et chercher sur la terre un endroit écarté

Où d'être Homme d'honneur, on ait la liberté »

Molière, Le Misanthrope

 

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Du milieu du XVIe siècle qui voit les débuts de la décadence des Ming au milieu du siècle suivant où la nouvelle dynastie, celle des Qing, finit par s'imposer sur tout le pays au terme de décennies de guerres, la Chine a connu une des périodes les plus troubles de son histoire faite de violences, d'exactions en tout genre, de corruption ; non seulement les guerres mais aussi les soulèvements populaires et les répressions qui s'ensuivaient aussi cruelles les unes que les autres faisaient le quotidien du temps. Certains intellectuels, poètes et artistes qui ne trouvaient guère leur place dans un tel environnement se détournent d'une société malade, d'un pouvoir aussi despotique qu'inefficient, et se réfugient loin du monde dans la solitude à la recherche de la paix en un retour à une nature, immuable consolatrice.

 

Moines1Le Musée Cernuschi, musée de l'extrême Orient de la ville de Paris, propose une exposition sur ce thème. Elle vient de Chine de la collection Chih Lo Lou ( Pavillon de la félicité parfaite ) offerte par le collectionneur Ho lu-Kwong au musée d'art de Hong Kong. Il s'agit de long rouleaux, de calligraphies et de feuilles extraites d'albums que l'on déroulait, suspendait ou feuilletait entre amis tout en récitant des poèmes et en ne se lassant pas de contempler le spectacle toujours renouvelé de la nature. Ces peintures au pinceau, lavis et aquarelles quasi monochromes, à la facture aussi raffinée que subtile demandent une attention soutenue, une humilité pour entrer dans un univers si étranger, si fascinant. Il est donc conseillé au visiteur de privilégier pour la visite les heures creuses ; la foules des grands rassemblements parisiens est incompatible avec l'attention recueillie qu'exige ce genre d'œuvre.

 

Que ce soient les recalés aux examens d'entrée dans le mandarinat, les déçus de la corruption du système au point de vouloir abandonner toute fonction officielle, ou enfin les fidèles de l'ancien régime n'acceptant pas le nouveau pouvoir Qing, voire luttaient contre lui au péril de leur vie, un certain nombre d'intellectuels, de poètes, de peintres se retirent moralement et physiquement et se réfugient loin de tout, à l'écart dans les lieux inaccessibles et, si possible, admirables, montagnes remarquables, rochers expressifs, fleuves majestueux, déserts comme on disait chez nous au Grand Siècle. Cela dit retirement ne veut pas dire isolement ou solitude, ces gens s'écrivaient, partageaient leurs poèmes, leurs œuvres sur papier, voyageaient, parfois pendant des mois, voire des années, se rencontraient et se recevaient lors de réunions où en personnes cultivées ils faisaient assaut d'élégance et de raffinement spirituels.

 

à l'observation attentive des longs rouleaux ou des albums exposés ici, on remarquera, se blottissant dans les replis des rochers et des montagnes, au plus profond des forêts, le long des rus et des cascades, les chaumières et les monastères où ils avaient trouvé refuge. On voit par la fenêtre le maître méditer sur un texte, écrire, dessiner... parfois en compagnie d'un disciple, plus rarement discutant avec ses amis. On l'aperçoit cheminer dans les bois, traverser le pont enjambant les flots impétueux d'un fleuve en furie, voire s'asseoir ou contempler debout l'imperceptible changement de l'atmosphère toutes choses dont il ne se lassait pas : subtile évolution de la lumière au long du jour, atmosphère propre à chaque mois, chaque saison, effets fantomatiques dus à la brume, formes dramatiques d'arbres vénérables déchiquetés par les intempéries, ou au contraire calme des petits matin, sérénité des crépuscules...

« De ma chambre, je suis soudain projeté dans l'univers »

Dong Qichang (1555 - 1636)

 

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La civilisation chinoise avait élevé au rang d'art la calligraphie, et même d'art majeur celui qui primait les autres. Elle avait atteint un niveau d'excellence sans exemple parmi les civilisations qui, ailleurs et à d'autres époques, l'ont aussi porté très haut. Les artistes exposées ici sont des intellectuels certes, des poètes, des dessinateurs, mais avant tout des calligraphes, leur excellence dans cet art faisait l'objet de leur fierté. Et l'on retrouve dans leurs peintures ce qui fait le charme d'une écriture qui demande spontanéité et maîtrise. La vivacité des traits dénonce une imagination en mouvement comme si le tableau se concevait en même temps qu'il se réalisait : la touche quasi impressionniste suggère plus qu'elle ne représente, la stylisation des formes au point de rendre un personnage, une embarcation sur un fleuve, d'une simple virgule ou l'inflexion du pinceau pour la frondaison d'un arbre ; tout cela est rendu possible grâce à une maîtrise parfaite de la main et du poignet. On ne s'étonnera donc pas que les inscription posées en marge ou dans le cadre - poèmes, citations, dédicaces à un ami ou à un commanditaire – fassent partie pleine et entière de l'œuvre qui ne se concevrait pas sans elles ; le visiteur se sentira un peu frustré lui qui ne peut déchiffrer les caractères mais quelques traductions lui permettront du moins de saisir le sens de ces création dans leur totalité.

« Fugaces sont les affaires mondaines (…)

Il faut revenir à la source,

mais nul n'en connait la méthode (…)

Méditant dans la cour vide,

l'automne est profond, la nuit s'éternise... »

extraits de 12 poèmes de Zhu Yunming (1461-1527)

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Peindre hors du monde 

Moines et lettrés des dynasties Ming et Qing

5 novembre 2021- 6 mars 2022

Musée Cernuschi, musée des arts de l'Asie de la ville de Paris

7, avenue Vélasquez, 75008 Paris

Tél. : 01 53 96 21 50

www.cernuschi.paris.fr

- Horaires et tarifs : du mardi au dimanche de 10h à 18h, sauf certains jours fériés ; tarifs, 9 et 7 € pour l'exposition, accès aux collections permanentes gratuit.

- Publication : Eris Lefebvre et Mael Bellec dir.- Peindre hors du monde, Moines et lettrés des dynasties Ming et Qing. - Paris, 2021, éditions Paris Musées, 208p., 150 ill., 35€.

- Animation culturelle : Visites, ateliers, conférences, pour adultes et pour jeune public, consulter le site du musée.