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Expositions

 

 

 

Ilya Repine (1844-1930). 

Peindre l'âme russe

 

 

 

 

 

La Sainte Russie débarque à Paris au Petit Palais, avec ses moines crasseux à la religiosité extravagante, ses cosaques hirsutes et paillards, ses moujiks et son prolétariat écrasés par l'impitoyable société impériale, son histoire millénaire et tragique, ses idéalistes, ses tyrans mais aussi sa société exagérément policées, cultivée... Oui ce monde coloré, contrasté, éclate sur les cimaises du musée discrètement redécorées pour l'occasion afin de mieux coller à l'ambiance du pays et de l'époque, celle qui vit la fin du régime tsariste et la Révolution bolchevique, celle que vécut et illustra le peintre Ilya Répine (1844-1930). L'exposition du musée du Petit Palais à Paris, une première en France, décrit dans sa richesse et ses contradictions la trajectoire d'un créateur extraordinaire : fils de serfs il fut admiré et fêté pas les cercles les plus fermés de la capitale, sympathisant de l'intelligentsia s'opposant au régime dictatorial du tsarisme, il en fut en quelque sorte le peintre officiel et illustra les fastes du régime, pour finir, la Révolution triomphant, en exil en Finlande à une quarantaine de kilomètres de Saint Petersbourg lieu de ses plus grands succès. Il refusa de revenir dans son pays malgré les sollicitations du nouveau régime.

 

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Fils de serfs, mais de serfs autorisés par leur propriétaire à travailler en dehors du domaine – son père était maquignon, sa mère dirigeait une petite école primaire – il naît dans un village ukrainien alors dans l'empire russe. Il commence sa carrière très tôt en peignant des icônes puis se tourne vers l'enseignement officiel. Il entre à vingt ans à l'académie impériale des beaux-arts de St-Petersbourg et très rapidement côtoie l'intelligentsia de la capitale et se fait un nom. Les Haleurs de la Volga (1870-73) assoie définitivement sa réputation tant par la qualité de l'œuvre que par le scandale que suscite le tableau : construit sur une diagonale simple mais efficace la troupe misérable des damnés, en guenille, tire le navire depuis la rive boueuse du fleuve ; elle s'avance vers nous selon un cadrage efficace que le cinéma reprendra plus tard. Le regard que ces forçats portent vers le spectateur, muet reproche, dénonce toute la misère du monde dans un pays où le travail des hommes vaut moins que celui des animaux. Répine peint de véritables portraits individuels et par là rend leur part de dignité à chacun de ces protagonistes qu'un labeur abrutissant semblerait leur dénier. Tout cela peint en couleurs chaleureuses en une pâte riche posée avec virtuosité.

 

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Ce faisant Répine signe un tableau iconique du mouvement esthétique des Ambulants qui s'impose en Russie à l'époque. Sous ce vocable quelques artistes russes particulièrement exigeants décident de consacrer leur art à l'illustration de la Russie dans sa réalité humaine et historique refusant de ce fait les thèmes jugés plus neutres ou plus nobles selon le goût de l'Académie. ils cherchent leur inspiration dans la vie quotidienne des Humbles comme on le disait : paysans, ouvriers hirsutes, dépenaillés, popes et moines, soldats et cheminots, cosaques... dont ils décrivent la vie, le labeur comme les moments de joie : les danse frénétiques, l'ivresse des longues soirées d'hiver, les pèlerinages fervants avec leurs cortèges, d'ecclésiastiques somptueusement parés, de pieuses femmes, d'estropiés, d'illuminés alors que claquent au vent les bannières, qu'étincellent les reliquaires d'or, les icônes aux parures brillantes serties de pierreries...

 

Répine fut un portraitiste très recherché et dans son atelier est passé tout ce que le pays comptait d'artistes, d'écrivains, d'industriels et d'aristocrates. Il se penche aussi sur sa famille et peint ses enfants avec toute le tendresse d'un père attentionné les représentant dans les poses d'abandon marques d'un sentiment de sécurité dû à la certitude de l'amour paternel. En dehors du cadre familial fit-il œuvre d'empathie et de psychologue ? Pas vraiment, ce n'était ce qu'on lui demandait d'ailleurs. Cependant il sait parfois aller au-delà de la simple apparence extérieure et faire œuvre de prescience. Quand il représente le Tsar Nicolas II engoncé raide, dans son uniforme, mal à l'aise, seul dans une salle du trône trop vaste et vide, il dit bien la solitude et l'inadaptation du personnage à un rôle qui l'écrase. Prévoit-il la tragédie finale ? Le plus émouvant reste le portrait qu'il fit du compositeur Moussorgski quelques jours avant sa mort dans la clinique où il soignait son alcoolisme, hirsute, sanglé dans sa robe de chambre, l'œil vif, le regard aigu il semble prendre à partie le spectateur. Les nombreuses effigies qu'il fit de Léon Tolstoï, le « comte-moujik » disent son amitié et sa familiarité avec l'écrivain et moraliste, le contempteur de la société russe. Il le peint assis dans son fauteuil, véritables icônes qui soulignent l'autorité morale par la simplicité voulue de sa vêture, ou encore debout pieds nus - le public venait déposer des fleurs devant ce tableau lorsqu'il fut exposé pour la première fois. Il le saisit encore dans des moments d'intimité, lisant étendu sur le sol sous les ombrages de son parc, labourant la terre.

 

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Répine, en dépit d'une carrière officielle bien remplie, n'avait aucune illusion sur la société russe du temps et nombre de ses tableaux disent sa sympathie pour l'intelligentsia contestataire. Le cycle des « Narodnicki », toiles retraçant la vie de ces opposants qui payèrent de leur confort, de leur liberté, et, souvent, de leur vie, leur engagement progressiste, témoignent de cet engagement. Ces toiles, de format plus réduit, décrivent l'existence et la passion – dans les deux sens du terme – de ces intellectuels : leurs polémiques, leur arrestation, leur condamnation, le chemin vers le bagne. « Ils ne l'attendaient plus », toile qu'il a beaucoup retravaillée, représente le retour inattendu d'un prisonnier politique. L'artiste multiplie dans cette toile devenue symbolique de l'arbitraire policier les signes d'un train de maison réduit : une seule domestique, la mère, simplement vêtue de noir, obligée d'assurer la scolarité des enfants, le mobilier pauvre réduit à l'essentiel – remarquer le plancher nu, le fauteuil du premier plan vraiment fatigué aux galons arrachés, les gravures au mur typiques d'une demeure progressiste. Répine en outre était abolitionniste en ce qui concerne la peine de mort et ce de de manière viscérale : « Avant le confession » montre les derniers instants d'un condamné à mort recevant un prêtre venu le confesser. Scène obscure, dramatique où un pope engoncé dans un manteau confortable est opposé à un prisonnier amaigri frissonnant dans un mince habit ; le prêtre exhibe une croix orthodoxe que l'homme semble repousser. On a peu remarqué que le peintre a donné ses propres traits au prisonnier. On sent presque l'atmosphère glacée de la cellule prélude au froid de la mort.

 

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Dans le même registre, il faut signaler une petite toile à l'iconographie insolite le « Rassemblement annuel devant le mur de Fédérés au Père Lachaise » sujet rarement traité en peinture, même en France. L'œuvre rapidement brossée en petites touches colorées, nonobstant le thème, est très séduisante et, surtout, elle est un témoin supplémentaire de l'humanisme du peintre et de ses sympathies.

 

Ilya Répine fut un homme très estimable, profondément humain, un créateur prolifique à la technique impeccable mais pour bien comprendre et apprécier son œuvre, il nous faut oublier le cours de la peinture à Paris et en Europe à l'époque. Dans ses tableaux, il privilégia toujours le sens sur la recherche formelle à rebours de ce qui se faisait en France et en Allemagne où l'on pensait que l'un n'allait pas sans l'autre. Il n'ignora pourtant pas cette évolution mais elle ne l'influença qu'à la marge : durant ses nombreux séjours à l'étranger, il visitait ateliers et expositions, il exposait lui-même mais ces nouveauté ne le concernaient pas. A l'instar des frères Morosov – eux aussi descendants de serfs – dont la fabuleuse collection est exposée en ce moment à la fondation Vuitton et qui entassaient dans leur palais Renoir, Toulouse-Lautrec, Cézanne, Gauguin, Van Gogh et tant d'autres mais se faisaient portraiturer par lui et son ami Valentin Serov, Répine tient à sa « russéîté » si l'on peut oser ce barbare néologisme.

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ilya Répine (1844-1939). Peindre l'âme russe.

Du 5 octobre 2021 au 23 janvier 2022

Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la ville de Paris

Avenue Winston Churchill, 75008 Paris

Tél. : 01 53 43 40 00

Internet : www.petitpalais.paris.fr

Horaires et tarifs : de mardi au dimanche de 10h à 18h., nocturne le vendredi jusqu'à 21h. Tarifs 13 et 11€. Réservation obligatoire sur petitpalais.paris.fr.

Publications : Catalogue, éditions Paris Musées, 260p., 42€

Animation culturelle : visites guidées, visites littéraires de l'exposition avec lecture des écrivains russes amis du peintre. Conférences, concerts, théâtre, événement, consulter le site du musée.