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Expositions

 

 

 

 

 

Victor Brauner (1903 - 1966)

« Je suis le rêve, Je suis l'inspiration. »

 

 

 

 

Le tableau attire le regard, d'abord par sa taille, ensuite par son sujet : il représente, mi partie claire, mi partie brune, deux personnages identiques : courtauds, nus, vulgaires, la moustache en croc, le sexe bien en évidence, il se détachent en brun sur fond clair, blanc sur fond sombre, une collection de petits légumes en papier mâché, jouets d'enfant aujourd'hui bien délavés, des petits baigneurs en celluloïd collés sur la toile évoquent sa toison pectorale et pubienne. Un ogre faussement bonhomme. Il a quelque chose de dérisoire et d'inquiétant à la fois. M. K. (1934) satisfait du monde tel qu'il va et surtout de lui-même, ultime avatar de l'Ubu de Jarry dit les tendances anarchisantes de son auteur et le regard sans indulgence qu'il porte sur un temps particulièrement troublé où ce genre de type abonde : Mussolini fait retentir l'Europe de ses facéties grotesques et meurtrières, Hitler commence sa monstrueuse carrière, Staline, tout aussi glaçant mais cela se sait moins, pervertit l'idéal révolutionnaire.

 

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Victor Brauner était un personnage complexe dont la personnalité et l'œuvre, largement méconnues du grand public, méritait la rétrospective que propose le musée d'Art moderne de la ville de Paris. Le parcours décrit en plus de cent cinquante tableaux, dessins, sculptures, documents et objets la trajectoire d'un artiste singuliers qui a laissé quelques-unes des images fortes du Surréalisme tout en déclarant, non sans paradoxe, que la peinture surréaliste n'existait pas.

 

C'était aussi un rêveur, un poète, un homme d'intuition sensible aux significations cachées des choses et des événements : « je suis le rêve, je suis l'inspiration » devait-il écrire un jour à André Breton. L'histoire célèbre de L'Autoportrait(1931) du Centre Pompidou est caractéristique de la conviction qui était le sienne d'être marqué du sceau des inspirés. Le peintre se représente de visage seulement, format photo d'identité, de face, le regard inquisiteur, assez gênant, fixant le visiteur. Il est énucléé de l'œil droit, la paupière inférieure pendant telle un tissus sanglant, mais, dans la cavité oculaire désormais vide brille la lueur d'un feu inquiétant. Ce qui rend le tableau encore plus intrigant c'est le fait que sept ans plus tard l'artiste va perdre effectivement cet œil accidentellement au cours d'une rixe qui opposait Oscar Dominguez et Esteban Francès, autres artistes surréalistes. 

 

Brauner3Victor Brauner est né en 1903 dans une province de la Roumanie la Moldavie. Mais, alors qu'il n'était un petit enfant, ses parents s'installent en Allemagne puis en Autriche fuyant les émeutes paysannes qui ravagent le pays en ce début de siècle. De retour à Bucarest il entre à l'école des Beaux-Arts et, dans les années qui suivent sa sortie en 1922, il participe activement à la vie culturelle et artistique roumaine dont il devient une figure de l'avant-garde. Ce n'est que plus tard et après deux longs séjours à Paris où il fréquente le milieu surréaliste (dont il sera expulsé avec pertes et fracas en 1948) qu'il s'y installe définitivement en 1938. Il ne quittera plus la France où il meurt en 1966. Si on insiste sur cette chronologie c'est que si c'est à Paris que l'artiste va trouver un milieu favorable à son inspiration et la consécration internationale, il a gardé des liens très forts avec son pays d'origine et son œuvre ne trouve pas son explication uniquement par l'ambiance stimulante du milieu surréaliste parisien : poésie, magie populaire, son œuvre étrange oscillant entre ces deux pôles en un rêve éveillé, tranche par sa tranquille originalité au sein d'un groupe qui se signale plutôt par une agressive remise en cause des certitudes d'un monde absurde et injuste. Tout en pratiquant avec virtuosité les recettes de la peinture traditionnelle, comme en témoigne l'autoportrait dont il est parlé plus haut, Victor Brauner emprunte volontiers aux arts premiers, aux « singuliers » de l'art (mot poli pour désigner les naïfs, les incarcérés – fous comme prisonniers – enfin ceux qui ne fréquentent ni les académies ni les institutions), au folklore, le matériau pour exprimer ses rêves, ses fantasmes. On remarquera l'obsession de l'œil assimilé au sexe de la femme qui forme un thème récurrent tout au long de l'exposition.

 

Car l'œuvre de Victor Brauner est fortement sexuée à l'instar des Surréalistes. Mais alors que ces derniers ne firent pas vraiment vraiment œuvre très novatrice en la matière en condamnant l'homosexualité, il apporte au débat une intuition novatrice pour l'époque : celle que tout homme, même le plus agressivement masculin, porte en lui une part de féminité. Dès 1941, à St-Feliu-d'Amont dans les Pyrénées Orientales où il s'était réfugié pour échapper à la police de Vichy – il était juif, plus grave encore aux yeux des sectateurs de la Révolution nationale, juif étranger – il exécute une série de dessins qui déboucheront, en 1945, sur de grandes statues blanches en stuc réalisées avec l'aide du sculpteur Michel Herz. Le « Congloméros », trois personnages arrimés à une seule tête hypertrophiée aux yeux globuleux d'un foetus : une femme, deux hommes. Leurs membres multipliés s'emmêlent en une résille serpentiforme où l'on ne discerne plus très bien à qui appartiennent ces membres emmêlés, la triade semble danser une sorte de chorégraphie immobile, hypnotique, assez dérangeante.

 

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Si le propos de l'artiste n'est pas toujours clair – mais est-ce un souci ? - il sourd de la rétrospective un sentiment mélangé fait de plaisir, de joie naïve mais aussi d'interrogations, d'inquiétude devant un monde coloré, d'un ironique primitivisme qui n'est pas tout à fait le nôtre mais qui ne nous est pas étranger pour cela. Bizarre Brauner...

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

1 – Autoportrait, (1931), Huile sur bois, ©Centre Pompidou, Musée national d'art moderne – Centre de création industrielle.

2 - L'étrange cas de Monsieur K, (1933), huile sur toile, ©Musée d'Art moderne et contemporain de Saint-étienne Métropole.

3 – Congloméros, 1945, plâtre, ©Musée d'Art moderne de la ville de Paris.

 

 

 

 

 

 

Victor Brauner

Je suis le rêve. Je suis l'inspiration

Jusqu'au 10 janvier 2021

Fermé pour cause d'épidémie, réouverture à partir du 14 décembre

Musée d'Art moderne de la ville de Paris

11, avenus du président Wilson 75116 Paris

Tél. : 01 53 67 40 00