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Expositions    

 

 

 

 

 

Jules Adler

Peintre du peuple

 

 

 

 

 

 

Il existe tout un territoire de l'art de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle qui est pratiquement terra incognita : celui qui est consacré au monde du travail, de l'usine, celui des sans grades, des ouvriers, du petit peuple, des « offensés et humiliés ». Qui connaît Lucien Jonas, qui apprécie la production de Maximilien Luce et de tant d'autres ? Le musée d'art et de l'histoire du judaïsme comble un peu ce vide en consacrant à jules Adler (1865 – 1952) une très sympathique exposition. Il est un peu dommage que l'étroitesse des salles n'offre qu'un recul insuffisant pour bien jouir des toiles souvent de grandes dimensions consacrées au monde du travail ou à celui de la rue qui font l'essentiel de sa production. Et malgré ce handicap, ses tableaux volontiers lyriques quand ils décrivent les « damnés de la terre » ne peuvent que frapper le visiteur. Un art probe, qui trouve sa séduction dans une austérité assumée, et mérite mieux que l'estime entourant son nom.

 

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Jules Adler est né à Luxeuil-les-Bains de parents alsaciens. Son père tenait un magasin de nouveautés et de vêtements. L'artiste en a laissé un portrait lisant son journal tout de dignité et d'élégance discrète en gris et bleus sensibles, il a aussi peint sa mère et sa petite ville en quelques toiles colorées tout aussi poétiques. Son cursus éducatif est sans histoire, il passe par l'atelier de William Bouguereau et ensuite par celui de Tony Robert-Fleury, très sérieuses figures de « l'art pompier ». Très vite il acquiert la réputation de Peintre des Humbles. N'imaginons cependant pas une carrière obscure, un peu en marge : Jules Adler exposait régulièrement au salon et dans des galeries prestigieuses, il a bénéficié de commandes officielles, il fut plusieurs fois primé, décoré, et bénéficia même de charges qui nous paraissent un peu surannées : peintre de l'Armée, puis de la Marine. On a peine à imaginer en découvrant son œuvre qu'il fut le contemporain des Post-Impressionnistes, des Fauves, des Cubistes et des Surréalistes voire des Abstraits. Il a complètement ignorés ces révolutions esthétiques, non par mépris mais tout simplement parce que son intérêt le portait ailleurs : pour lui la peinture était avant tout témoignage, engagement.

 

La toile la plus importante, celle qui a assuré sa survie dans la mémoire collective, paradoxalement se situe en fin de parcours de l'exposition dont elle constitue l'apothéose. La Grève du Creusot (1899), décrit un peuple hâve, misérable, défilant en criant ses revendications. Composition peinte quasiment en un camaïeu de couleurs austères, des bruns et de gris subtilement déclinés, où éclatent les couleurs vives du drapeau rouge et le tricolore de notre enseigne nationale. La toile voisine avec un grand panorama de Paris pris depuis le haut de l'escalier du Sacré-Cœur : la ville se déploie en couleurs claires tandis que se découpe en premier plan un couple d'amoureux mûrs (le peintre et sa femme ?). Tout est dit sur un art où la tendresse côtoie une compassion indignée.

 

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On remarquera, se détachant du côté gauche de la toile de La Grève au Creusot la figure de l'adolescent un tambour à l'épaule. Il est le fils des tambours révolutionnaires qui entraînaient les armées de la république sous la Révolution sa présence rappèle que la revendication est un dur combat. Il rappèle surtout que Adler fut un peintre de l'enfance : écoliers quittant l'école, mousse, petit garçon avec son beau bateau, lumineux aide jardinier, galopins jouant dans la rue... Leurs figures fraîches, sans mièvrerie, illuminent une exposition qui sans eux serait un peu austère. Peut-on ajouter à cette galerie le charmant Trottin, ces apprenties à peine sorties de l'adolescence travaillant dans l'artisanat de la confection qui sillonnaient la capitale pour les livraisons ? 

 

Peindre les pauvres, les modèles dans la peinture occidentale ne manquent pas : philosophes dépenaillés ricanants, lazzaroni insolents, bohémiennes provocantes, paysans édentés buvant et forniquant sans vergogne, la truculence faisait recette... Le propos de Jules Adler est différent, il redonne à ces personnages une dignité que leur statut leur refusait. La Soupe des pauvres(1906), grandeur nature les miséreux qui ne survivent plus que des ressources de la charité publique se pressent en une morne colonne peinte avec une vive sympathie ; le sujet n'est pas sans un écho aujourd'hui. 

 

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Il a peu représenté des scènes d'atelier ou d'usine ; c'est un monde fermé peu accessible à qui n'en fait pas partie. Il préfère se situer en dehors pour décrire le monde des prolétaires : « Les Las » (1897), situé place de la République à deux pas de son atelier, décrit la lourde démarche de ce peuple vanné, marchant d'un pas automatique, chacun enfermé dans sa bulle, vivante illustration de Zola : « Ils marchaient toujours sans un rire, sans une parole dite à un camarade, les joues terreuses, la face tendue vers Paris, qui, un à un, les dévorait. » Il se fait lyrique avec « les Haleurs » (1904) dont les silhouettes géométriques ont la noblesse d'un monument. Leur environnement d'usines et de maisons à loyers sont aussi transfigurés en des toiles riches en pâtes où les chauds dégradés de bruns, de bistres, de jaunes magnifient un espace d'un éclat puissant. Pécheurs, ou plutôt leurs femmes attendant, toujours attendant, attente angoissée un soir de tempête, plus apaisée pour aller vendre le poisson, paysans au retour du pardon...

 

Jules Adler est aussi le portraitiste de Paris, un Paris familier, vendeurs de journaux, ménagères faisant leur marché, badauds regardant un accident, communiantes entourées de religieuses à cornettes, vieux couple se promenant etc. Il porte sur ce petit monde un regard tendre et compréhensif, celui d'un humaniste indulgent.

 

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Quelques toiles étonneront le visiteur celles consacrées aux chemineaux, ces hommes plus ou moins jeunes qui voyageaient à pied, allant d'un endroit à l'autre, couchant dans des granges ou dans des endroits de fortune, vendant leur force de travail pour un repas, un hébergement ; un jours ? Deux ? Plus longtemps ? Mais jamais définitivement. Ils inquiétaient, on les accusait de tous les maux : chapardages, fornications plus ou moins consenties, voire crimes. En cas de problèmes, ils étaient le coupable idéal. Leur liberté faisait peur, était une insulte à la majorité des résignés (relire Les Grands Cheminsde Giono). Jules Adler en fait des philosophes libres, souriants, chantants, lointains descendants de Diogène, ayant trouvé le bonheur dans le refus des normes. Dans les tableaux qu'il leur consacre sa palette s'éclaircit, la lumière se fait plus chaleureuse, il en sourd une sorte de jubilation. Le Philosophe(1910) a arrêté un instant sa course pour dévisager le visiteur comme pour l'encourager à le suivre sur le chemin clair et chatoyant qu'il parcourt. Une des meilleures toiles de l'exposition, une des plus inspirées. Pour quelles raison le peintre se sentait-il interpelé par ces vagabonds dépenaillés ? Quel écho de leur liberté résonnait-il en son moi profond ?

 

Jules Adler était juif, mais non pratiquant, par deux fois il a rencontré l'antisémitisme. La première, lors de l'affaire Dreyfus et il fut un dreyfusard agissant ; plus tard, pendant la seconde guerre mondiale, il se heurte aux lois raciales du régime de Vichy : il est arrêté et interné avec son épouse en attente de leur déportation. Une lettre anonyme l'avait dénoncé pour avoir dessiné dans un jardin public interdit aux juifs. Il échappe aux camps de la mort par miracle mais une partie de sa famille n'aura pas cette chance...

 

Il exposera une dernière fois, en 1948, les dessins toujours aussi profondément humanistes de ces compagnons de camps. Ce sera la dernière manifestation officielle, il meut en 1952.

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

La Grève au Creusot, 1899, Huile sur toile, Pau, musée des Beaux-Arts © ADAGP Paris 2019 

Le Trottin, 1903, Huile sur toile, Reims, musée des Beaux-Arts © ADAGP, Paris 2019, Photo Christian Devleeschauwer

Les Haleurs, 1904, huile sur toile, Luxeuil-les-Bains, Musée de la Tour des échevins, dépôt du musée d'Orsay photo, Albert Leprince

Le Philosophe, 1910, huile sur toile, Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la cille de Paris, © Roger Viollet, ADAGP, Paris 2019

 

 

 

 

 

Jules Adler

Peintre du peuple

17 octobre 2019 – 23 février 2020

Musée d'art et dhistoire du Judaïsme

Hôtel de Saint-Aignan

71, rue du Temple, 75003 Paris

- Web : www.majh.org

- Tél. : 01 53 0186 65

- Courriel : 

- Horaires et tarifs : mardi, jeudi, vendredi de 11h à 18h, jeudi 11h à 21h, samedi et dimanche, de 10h à 19h. ; tarifs : 10€, tarif réduit 8€, jeune de 18 – 25 ans résidents européens, 5€.

Publication : Jules Adler, peindre sous la Troisième République.- 2019, Silvana editoriale, 240 p., 25€.

- Autour de l'exposition : Colloque, rencontres, visites guidées, areliers, livre-jeu. Consulter pour le détail, le site du musée.