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Expositions

 

 

 

 Palézieux (1919 - 2012), œuvres sur papier

 

 

 

 

 

C'est un nom confidentiel. Très peu d'amateurs, ne parlons pas du grand public, le connaissent. Gérard de Palézieux, un artiste suisse dont la fondation Custodia expose en ce moment la création graphique, mérite que l'on s'attarde sur son travail, une œuvre rare qui fait le joie des personnes séduites par son approche quasi janséniste de la réalité. Pratiquement absent des collections d'art contemporain françaises, on pourra désormais le consulter ici puisque la fondation a reçu en dépôt des institutions suisses la conservant un échantillonnage caractéristique.

 

Dessins, aquarelles, lavis, gravures déclinent une création grave faite de retenue et de modestie toute entière dédiée à la poésie du quotidien, une création tournant résolument le dos aux révolutions esthétiques d'un siècle qui n'en fut pas avare. Gérard de Palézieux, Palézieux tout court comme il aimait qu'on l'appèle, est né en 1919 à Vevey sur les bords du lac Léman. Son père était banquier. Une vocation artistique précoce le conduit à suivre les cours de l'école des Beaux-Arts de Lausanne qu'il quitte en 1939 pour se perfectionner à Florence qu'il est obligé de quitter en 1943 - même un Suisse ne saurait s'abstraire des événements en ces temps de guerre. Il s'installe alors dans la petite maison que ses parents louent à Veyras dans le Valais près de Sierre, maison qu'il ne quittera que pour des voyages à Paris, en Italie et au Maroc. Cet environnement, simple et naturel, scandé par l'horloge de le nature où s'égrènent les « plaisirs et les jours » marque profondément un travail exigeant d'une grande poésie : objets humbles d'usage quotidien, fruits, fleurs, nourritures, intérieurs de la maison, échappées sur un paysage si familier...

 

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À Florence, il s'était initié à l'art de la gravure auprès des frères Sanzio et Goffredo Trovarelli. Il en déclinera au cours de sa vie toutes les disciplines : eau-forte, lithographie, aquatinte, monotypes etc. Ce fut l'auteur prolixe, de plus de douze cents estampes dont il pouvait assurer toutes les étapes, tirage compris - il possédait une petite presse dans sa maison valaisane ; ses gravures n'ont jamais été de très grand format et ses tirages jamais très importants. Il portait une attention toute particulière au choix du papier que très souvent il préparait en le teignant de lavis légers discrètement colorés. Il aimait aussi les papiers anciens qui avaient « vécus », avec parfois des traces de comptes, d'accidents, de déchirures etc. C'était en quelque sorte mettre ses pas dans une histoire de s'inscrire dans une tradition tout en la renouvelant.

 

Ses professeurs lui signalerons l'œuvre de Morandi si proche de ses préoccupations. Ce sera un véritable coup de foudre esthétique, il ne rencontrera l'artiste bolognais que quelques années plus tard et s'établiront des liens d'amitié durables ; mais dès 1942 il subit fortement l'influence des tableaux et des gravures du maître tous de gravité et de retenue. Influence si forte dont il faudra s'abstraire pour atteindre son style propre. D'autres admirations auront une forte influence sur lui, Rembrandt bien entendu et ce sera une grande joie pour lui de voir son œuvre exposé à la Rembrandthuis d'Amsterdam, Il partageait l'admiration du vieux maître pour Hercules Segers ce graveur et peintre si mystérieux de l'Amsterdam du début du siècle d'or. Souvenons-nous que Rembrandt n'hésita pas à retravailler les cuivres qu'il possédait, appropriation radicale dont Pamézieux n'avait ni les moyens, ni l'envie sans doute. Plus surprenant il appréciait Canaletto qui semble bien éloigné de ses préoccupations, mais il en aimait le travail du cuivre à la fois vigoureux et subtil. Il collectionnait ces créateurs et d'autres encore dans la mesure de ses moyens, par délectation mais aussi pour en traquer les secrets.

 

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Il ne faudrait pas croire que la petite maison du Valais était une thébaïde coupée du monde. Palézieux voyageait beaucoup, l'Italie si proche physiquement et intellectuellement, Venise surtout, les Pays Bas, la Méditerranée, et Paris. La découverte du Maroc, comme pour tant d'autres, fut un choc. Il a rapporté de ce voyage des cahiers sur lesquels il a peint de petites vignettes colorées, d'une géométrie quasi abstraite. Malheureusement il ne peut en être exposée qu'une seule puisque l'ensemble est maintenant relié. De cette expérience découlera une grande partie de sa production.

 

De ses voyages Palézieux ne retenait pas ce que les artistes recherchent habituellement : pas de cathédrales, de châteaux, d'ordonnances urbaines majestueuses, de paysages pittoresques voire sublimes, mais au contraire des lieux un peu en marge d'où sourd une ambiance faite de mélancolie, de discrète humanité, de calme équilibre. Au palais, il préférait la remise, la grange dont les murs sont griffés par les stigmates du temps. Venise par exemple ? Comme peu d'autres il fut sensible à la déréliction de la cité que le tourisme comme le changement de l'écosystème de la lagune détruisent sournoisement. Il en donne des images d'un infini désenchantement où palais et églises semblent se dissoudre dans le brouillard. Une superbe gravure sur cuivre montrant l'eau, le ciel, trois pieux liés signalant le chenal, le vide en quelque sorte, est habitée d'une mystérieuse vie. Palézieux aimait aussi les paysages de neige quand l'espace se fond dans le manteau cotonneux quand les sons résonnent dans le silence absolu et que les contrastes de noir et de blanc s'exaspèrent. Il a traité souvent le thème en gravure comme en aquarelle ou en lavis.

 

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L'art de Palézieux est singulier en ce qu'il fait souvent appel au hasard, à l'accident, au non prévu. À l'instar des moines Zen il travaille rapidement après avoir médité, ne laissant « pas l'ombre d'un cheveu entre la pensée et le geste », entre l'émotion et son expression. Ses paysages au lavis ou à l'aquarelle témoignent de cette urgence : arbres décrits en deux coups de pinceaux, maisons et cabanes torchées sans s'attarder aux détails, collines, montagnes travaillées d'une seule touche. Pour les dessins, il travaille sur des papiers anciens ou peu faits pour cette discipline mais qui accrochent la matière, les vergés par exemple, il utilise un médium rare, la craie lithographique ce qui permet de diluer les formes, de jouer sur les accidents du support. Sa technique de graveur dut beaucoup à Morandi à ses débuts ; il s'est abstrait de cette influence en abordant d'autres techniques que l'eau forte, l'aquatinte, le vernis mou, le monotype qui permettent de jouer de la matière sur les papiers et surtout le jeu de l'imprévu.

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

- Nature morte à la cafetière et au compotier, 1981, craie lithographique sur fond au lavis beige sur papier velin. Musée Jenish Vevey, Fondation de la Société des Beaux-Arts de Vevey. 

Riva degli Schiavoni, aquarelle n°21 pour Carnet de Venise, aquarelle sur papier velin, Fondation William Cuandet & atelier de St-Prex, Vevey

-  Deux figues, aquarelle sur papier vergé beige, Fondation William Cuandet &Atelier St-Prex, Vevey

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Palézieux (1919-2012), œuvres sur papier

21 septembre – 15 décembre 2019

Fondation Custodia

121, rue de Lille, 75007 Paris

Tél. : 01 47 05 75 19

internet : www.fondationcustodia.fr

Horaires et tarifs : Tous les jours sauf le lubdi de 12h à 18h. Tarifs : 10 et 7 € (donnant droit aux deux expositions de la fondation,Palézieuxet Willem Bastiaan Tholen. Un impressionniste néerlandais.)

Publication : Florian Rodari et Ger Luijten dir, catalogue,quatre volumes sous emboitage : Essais et témoignages,Dessins,Lavis et aquarelles,Estampes. - 2019, Milan, 5 Continents éditions, 49€.