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Expositions

 

 

 

Claude

(Lyon 10 av. J.-C. - 54 ap. J.-C.)

Un empereur au destin singulier

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il bégayait, il boitait et comble d'infortune il fut l'époux de deux des femmes les plus toxiques de l'histoire antique ; la nymphomane Messaline qu'il fit exécuter et l'ambitieuse Agrippine qui, rapporte la tradition, eut raison de lui grâce à un plat de champignons « assaisonné ». Cet empereur malgré lui et de raccroc - il fut élu faute de mieux - bénéficie d'une exposition-réhabilitation organisée par le musée des Beaux-Arts de Lyon, sa ville natale. Dès l'entrée, trois moniteurs diffusent en continu quelques extraits réjouissants de films et de séries très librement inspirés de sa vie : l'actrice de la Comédie française, Madeleine Roch, l'œil charbonneux, en robe de Poiret, après avoir chipé dans le magasin des accessoires des châles brodés vaguement antiques, déclame, tord les bras avec beaucoup de conviction dans le film que la Maison Pathé frères a consacré en 1910 aux infortunes de Messaline ; les Anglais Jack Pulman et Herbert Wise en 1972, ne sont pas en reste en donnant de Claude une image encore plus grotesque : pathétique travelo cinquantenaire outrageusement maquillé et coiffé d'une improbable choucroute ; le grand Josef von Sternberg, plus sérieux, le présente dans un film inachevé comme un vieillard souffreteux et peureux ce qu'il était sans doute.

 

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Passé ce sourire amusé en guise de prologue, le visiteur découvre un personnage qui en tant que souverain fut un administrateur et un politique avisé, certes assez peu sympathique si l'on en croit ses contemporains mais qui sut prendre des décisions judicieuses en ce qui concerne les rapports de Rome avec les provinces de ce vaste empire dont l'héritage influence encore tant de pays européens. Statues officielles, gemmes, documents épigraphiques, objets de la vie quotidienne à Lyon et dans l'empire, chroniques, comptes rendus de fouilles, interview de spécialistes, cartes, monnaies, médailles, maquettes et même quelques tableaux peints du XVIIIe siècle au XXe... essayent de donner chair au parcours paradoxal d'un prince si terne. Nous découvrons en fait un empereur compétant et non le vieillard peureux et aboulique qu'ont décrit et les Suètone et les Tacite.

 

Claude est né le 1r août de l'an 10 avant J.-C. à Lyon séjour de son père Drusus administrateur de la Gaule et surtout défenseur des frontières. Il reste peu de choses du « Palais du Gouverneur » où eut lieu l'événement. La luxueuse villa, ornée de fresques et de mosaïques dont la maquette et quelques fragments décoratifs subsistant exposés ici, dominait la ville et la campagne environnante du haut de la colline de Fourvière. Il était né et fort bien né, descendant du côté de son père comme du côté de sa mère, d'Octave, neveu de Jules César fondateur de la dynastie des Julio-Claudiens et de sa femme Livie.

 

 

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La première salle est consacrée à une généalogie passablement embrouillée où s'entrecroisent, mariages plus ou moins souhaités, divorces, filiations, adoptions, décès aussi précoces que suspects etc. : ces têtes, ces bustes, ces effigies en pied dans leur blancheur marmoréenne, nobles et impassibles, élégantes, coïncident assez mal avec l'image que nous avons de ces fauves aux vies paroxystiques. Sa propre statue en pied, sculptée en deux pièces s'emboitant, montre un homme jeune, athlétique – ce qu'il n'était sûrement pas ; il avait alors cinquante ans et nous savons qu'il était souffreteux. Son visage assez réaliste selon les critères de l'art romain avec sa forme triangulaire, ses oreilles un peu décollées, est assez proche de la vérité. En dépit de la froideur d'une œuvre officielle, il y transparait un peu de ce qu'il fut réellement. Plus loin nous verrons une Messaline en matrone romaine, telle une vierge médiévale, portant dans ses bras un tout jeune enfant, son fils Britannicus, une Agrippine tout aussi convenable suivie de son fils, Néron. Seules deux autres effigies - Agrippine et Néron -, taillées dans un bloc de grauwacke, luxueux matériau très dur et sombre, de par leur noirceur disent la sauvagerie et la brutalité de ces personnages.

 

Jusque vers la cinquantaine, Claude mène une existence calme, prudente, un peu à l'écart d'une parentèle dangereuse. Vie d'érudit, Il s'intéresse aux Etrusques auxquels il consacre un ouvrage et même, comme il était un peu vétilleux, il propose d'ajouter trois lettres à l'alphabet latin qui, parfois, ne coïncidait qu'imparfaitement avec certains sons. N'en faisons pas cependant un philosophe vivant dans sa bibliothèque à l'abri des bruits et des fureurs du monde : il vit à l'écart du pouvoir peut-être, mais pas trop loin. Son neveu Caligula le fait sortir de l'anonymat ce dont il le récompensa fort mal : il était sans doute au courant du complot visant à éliminer cet empereur caractériel mais se garda bien de le dénoncer pour finalement profiter du meurtre.il se marie deux fois, divorce de ses deux épouses pour des raisons peu claires, avant d'épouser à plus de cinquante ans, devenu empereur, un tendron Messaline qui lui donnera un fils, Brittanicus, et, après l'exécution de cette dernière pour inconduite, sa propre nièce Agrippine, mère de Néron.

 

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Fit-il preuve d'une couardise abjecte lors de l'assassinat de Caligula ? Fut-il élu faute de mieux en tant que dernier adulte mâle de la dynastie ? Cela importe peu finalement. Il va régner treize ans, et son règne est comme une respiration entre celui de Caligula plein de bruit et de fureur, et celui, devenu légendaire par sa cruauté et sa démesure, de son fils adoptif Néron. Règne à la relative équanimité : il fut impitoyable et ses victime se comptent par centaines...

 

Claude augmente le territoire de l'empire par la conquête de l'Angleterre – fut-ce une simple promenade comme on l'a affirmé ? Ce qui lui vaudra les honneurs du triomphe et le pouvoir d'augmenter le Pomerium de Rome – l'enceinte sacrée de Rome. Puis il réorganise l'empire en transformant en provinces de nombreux territoires qui jouissaient encore d'une indépendance de façade. Enfin il fait adopter par un Sénat réticent une loi étendant le privilège d'accéder au statut de sénateur à l'élite de la Gaule chevelue. Son discours adressé au sénat de Rome, embrouillé et obscur, « gravé dans le bronze », a été retrouvé au XVIe siècle à Lyon justement. La Table Claudienne, une plaque de bronze brisée au milieu, reproduisant son discours est un des points forts de l'exposition. Il poursuit la politique des grands travaux de ses prédécesseurs mais dans un registre utilitaire : il complète le port d'Ostie bien insuffisant par un vaste avant-port pour sécuriser les approvisionnements en blé de la capitale, il complète le réseau d'aqueducs amenant l'eau à la ville mais des constructions plus prestigieuses, il ne reste que quelques admirables fragments exposés ici. Une mosaïque venant de Saint-Romain-en-Gal à quelques kilomètres de là, montrant un plat de champignons, termine le circuit par une note d'un humour acide.

 

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Entre Shakespeare (Jules César), Caligula (Albert Camus), Néron (Racine), Claude fait pale figure ; les précautionneux inspirent peu ! Mais cette belle exposition, donnant à voir de magnifiques sculptures, réhabilite quelque peu un personnage méconnu

 

Gilles Coÿne 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

- Claude, marbre, vers 40 Ap. J.-C., musée du Louvre département des antiquités grecques, étrusques et romains, photo de l'auteur

- Messaline et Britanicus, marbre, vers 50 ap. J.-C., Paris, musée du Louvre département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, au second plan, Claudia Octavia fille de Claude et de Messaline, Grosseto, Musée d'archéologie et d'art de la Maremme, Photo de l'auteur

- Ippolito Caffi, Aqua Claudia, vers 1857, Huile sur papier marouflé sur toile, Rome, Musée de Rome, photo de l'auteur

- Médaillon aux champignons de la mosaïque des Xenia, 1r quart du IIe siècle, marbre, pierre et verre, musée gallo-romain de Saint Romain-en-Gal, photo de l'auteur

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Claude (Lyon, 10 av. J.-C. Rome 54 ap.J.-C.)

Un empereur au destin singulier

Jusqu'au 4 mars

Musée des Beaux-Arts de Lyon

20, place des Terreaux – 69001 Lyon

- Tél. : 04 72 10 17 40

- Internet : www.mba-lyon.fr

- Horaires et Tarifs : tous les jours, sauf mardi, de 10h à 18h, vendredi, 10h30 à 18h ; ouvertures exceptionnelles, les vendredi 1, samedi 2, dimanche 3 mars jusqu'à 22h, visites commentées ces jours-là. Tarifs : 12€, 7€, et gratuité (voir le site du musée), entrée couplée avec la visite du musée.

- Publications : Catalogue.- Paris, 2018, Liénart éditions, 320p. 234 illustrations, 38€.