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Expositions

 

 

 

 

Éblouissante Venise

Venise, les arts et l'Europe au XVIIIe siècle

 

 

 

 

 

Certes éblouissante, mais totalement et définitivement décadente, Venise tout au long de ce siècle descend lentement et inexorablement vers la déchéance. Cette ville si magnifique qui pratiquement seule a su pendant des siècles contrarier l'irrésistible avancée de l'empire turc et qui, encore, réussit à défendre Corfou est devenue le tripot et le bordel de l'Europe. Le Carnaval qui s'étend sur six mois, attire toute ce que le continent compte de viveurs et de curieux et devient le moteur de l'économie. La façade est grandiose en tous les domaines. Que ce soit en peinture, en sculpture, en musique, dans les arts décoratifs, les artistes vénitiens sont d'une virtuosité sans égale et dressent un magnifique décor, on serait tenté de dire un maquillage, qui cache mal cependant la misère d'une société délabrée. Ce magnifique crépuscule s'expose à Paris au grand Palais : peintures, dessins, gravures, sculptures, maquettes, mobilier, porcelaines, argenterie, costumes et même, c'est l'idée bizarre de Macha Makeïeff qui a assuré la scénographie, des animaux naturalisés dont un lion. Le roi des animaux, totem de l'évangéliste, saint patron de la ville, empaillé ! Tout un symbole !

 

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Ce panorama privilégie la peinture qui occupe la presque totalité de l'espace. Et c'est justifié car elle reste la part la plus remarquable de l'apport vénitien à la culture européenne. Même si Vivaldi pour la musique, Goldoni et Casanova pour la littérature, évoqués ici sommairement, jouent une petite musique originale dans la culture du temps, les quelques sculptures, le mobilier, les vêtements, ne se détachent guère de ce qui se faisait ailleurs et n'ont d'autre utilité que d'accompagner par un aimable décor l'art majeur, la peinture ; une peinture toute faite pour séduire le visiteur : couleurs éclatantes, gestuelle théâtrale, mise en scène souvent paradoxale, mais toujours suggestive, facture virtuose (pas toujours!), on comprend le succès auprès des connaisseurs d'un siècle qui privilégia rien moins que le plaisir partout et toujours. Une montée au calvaire, (Gian-battista Tiepolo), par exemple, se transforme en un défilé pittoresque où de personnages vêtus de défroques plus ou moins orientales et bariolées défilent en un cortège habilement disposé en zig-zag. Ah ces anges plus proches de courtisanes que de créatures célestes, ces Vierges superbement maquillées... Cela plaisait beaucoup et cela nous plaît encore.

 

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La dynastie des Tiepolo, le père Gian-Battista (1696-1770), ses fils dont le talentueux Gian-Domenico (1727-1804) ouvrent et clôturent l'exposition, ils la dominent. Ce furent de prodigieux décorateurs, à l'imagination débordante, des metteurs en scène inspirés de la geste Baroque qui ont couvert palais et églises vénitiens de leurs compositions, attirés en Allemagne puis en Espagne ils ont laissé deux des plus fastueux ensembles du XVIIIe siècle : les plafonds du grand escalier et les deux salles de la Résidence de Würzburg et celui de la salle du trône du palais royal de Madrid. Fastueux décors, mais déjà démodés. Ici, pour les évoquer, il faudra se contenter d'études et de séduisants tableaux de dimensions plus modestes, tels ce modèle pour une porte de Madrid, ou encore celui pour la fresque du palais Labia. On raconte que cette dernière famille, des nouveaux riches snobés par la vieille aristocratie, donnaient dans leur palais des festins servis dans des plats d'or et qu'à la fin du service, en un geste théâtral, les serviteurs jetaient les plats par la fenêtre ! Bien entendu sous les dites fenêtres étaient disposés des filets... Giambattista Tiepolo a peint pour leur grand salon une splendide fresque représentant leFestin de Cléopâtre, le moment où la reine d'Égypte fait dissoudre une perle de grand prix dans du vinaigre (après tout, peut-être l'histoire des plats est-elle vraie...) pour impressionner Antoine. Cependant, difficile de retrouver l'atmosphère d'élégante et luxueuse gabegie, dans la petite composition exposée ici. On touche là une des limites de l'exposition qui ne peut qu'évoquer ces somptueux ensembles.

 

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Mais les grands décors pour églises et palais, les nobles portraits officiels, les allégories triomphales ne sont pas tout, dans un registre moins ambitieux l'aimable Pietro Longhi (1702-1785) a peint en d'agréables tableautins la vie quotidienne des Vénitiens. En dépit de ses personnages engoncés, de leur gestuelle malhabile, de l'agencement assez maladroit de l'espace, il se dégage de ces scènes de genre un charme familier et prenant. Le Rhinocéros (1751), une de ses compositions les plus célèbres, montre à la fois l'agrément et les limites de son art, la construction très simple basée sur des plans parallèles étagés montre, en devant de scène l'animal, veuf de sa corne nasale, que brandit son dompteur-gardien. Il est contemplé par sept personnages représentatifs de la société vénitienne. Les couleurs vives, les attitudes contrastées des personnages, leur naïveté, la bonhommie du regard de l'artiste, sauvent une composition assez plate.

 

Une ville, un cadre sublime, magnifiés par les jeux et les reflets de l'eau et de la lumière. Les marbres colorés, les sculptures, la pierre d'Istrie si blanche, tous ces éléments forment un décor incomparable qui ne pouvait que séduire les peintres. Venise au XVIIIe siècle inspire l'école de paysagistes la plus talentueuse d'Europe. Canaletto, Guardi et à un degré moins brillant, Bellotto, Carlaverijs, Marieschi, représentent inlassablement la ville, le grand canal, la place Saint-Marc : il faut bien alimenter en souvenirs les visiteurs étrangers. Ils surent, avec plus ou moins de bonheur, saisir ce qu'il y avait d'unique dans l'atmosphère vénitienne. Francesco Guardi surtout qui en de petits tableaux brillants, exécutés avec brio, brosse la ville, la foule, les fêtes, les cérémonies comme les drames. Leur expertise en ce domaine était si bien reconnue que Canaletto en Angleterre, Bellotto en Europe de l'Est, - Vienne, Dresde, Varsovie -, furent appelés par les souverains pour fixer le visage de leurs capitales.

 

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Venise n'attirait pas que les « touristes », tout comme les peintres vénitiens s'expatriaient à la recherche d'une scène artistique moins étroite, elle était une étape obligée pour tout artiste qui venait parfaire sa formation en Italie. Ces derniers visitaient, scrutaient les grands ensembles du XVIe siècles, exploraient les ateliers, tandis que les Vénitiens s'expatriaient. Ces chassés-croisés fructueux sont évoqués ici de façon assez rapide mais le survol est suggestif, il mériterait une exposition à lui seul.

 

Gian-domenico Tiepolo dont l'œuvre clôture l'exposition, se révèle peut-être le plus intéressant. Il fut le seul de sa génération à pressentir la fin de ce monde. Ses dessins férocement critiques de la société de la Sérénissime - comme Venise s'auto-appelait en toute humilité -, ses compositions aux arlequins grimaçants concluent en grinçant une vénérable tradition esthétique vieille de plus de quatre siècles. Venise meurt dans l'amertume d'un ricanement. La ville qui fut une des écoles de l'Europe n'est plus désormais que l'ombre d'elle-même et ne fera plus que suivre ce qui s'expérimente ailleurs.

 

Aujourd'hui, il reste moins de soixante dix mille habitants d'une ville qui en compta plus de 200.000.

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Éblouissante Venise

Venise, les arts et l'Europe au XVIIIe siècle

26 septembre 2018 – 21 janvier 2019

Grand Palais

Galeries Nationales, entrée Clemenceau

- Tél. : 01 44 13 17 17

- Wifi : www.grandpalais.fr

- Horaires et tarifs : du jeudi au lundi de 10h à 20h, mercredi, 10h à 22h. Tarifs : 14€, 10€ (16-25 ans, demandeurs d'emploi et familles nombreuses), gratuité pour les moins de 16 ans et les bénéficiaires de minima sociaux.

- Publications : Cataloguede l'exposition sous la direction de Catherine Loisel, éditions RMN-Grand Palais, Paris 2018, 256p., 300 ill., 45€. Valentine Toutain-Quitellier, album, éblouissante Venise, 48p., 40 ill., 10€. Emmanuel Pierre, Venise mascarade, album jeunesse, RMN-Grand Palais, 2018, leporello de 8 pages sous couverture, à partir de 6 ans, 12,5€. Mathias Enard,Désir pour désir, collection Cartels, RMN-Grand Palais, 2018, 104p., 6 ill., 14,90€.

- Programmation culturelle : lectures de Goldoni, résurrection d'un opéra, conférences, films, documentaires, colloque, visites guidées, ateliers, consulter le site.