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Expositions

 

 

Jean-François Millet

 

 

 

 

 

 

Cela fait quelques quarante ans qu'il n'y a pas eu en France d'exposition consacrée au peintre Jean-François Millet (1814-1875). Le Palais des Beaux Arts de Lille, comble une lacune en organisant une rétrospective sur un maître à la fois trop connu et paradoxalement injustement mésestimé chez nous. L'Angelus est passé par là... On n'a pas idée aujourd'hui de la popularité d'une l'œuvre déclinée sur touts les supports possibles jusqu'à la nausée, du calendrier des postes au service à café... On dirait une diffusion virale aujourd'hui. Non sans humour, quelques objets exposés dans une vitrine à l'entrée rappèlent cette folie. Le maître de Barbison n'a jamais connu une telle éclipse dans le monde anglo-saxon où il fut admiré, collectionné avec passion et eut une influence certaine sur les peintres comme les photographes, il inspira même quelques productions hollywoodiennes. L'originalité et le mérite de la manifestation lilloise est d'aborder aussi, trop brièvement, cet postérité.

 

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Jean-François Millet est né en 1814 à Gruchy dans les Cotentin dans une famille de paysans aisés. Une enfance heureuse où alternent les travaux des champs mais aussi des moments familiaux chaleureux dus à une grand-mère particulièrement affectueuse et de fortes convictions. Tous les soirs elle ouvrait sa Bible pour en lire quelque passage. Ce n'était pas n'importe quelle Bible mais celle de Port-Royal traduite par Le Maître de Sacy.

 

À dix-neuf ans il entre dans l'atelier d'un peintre de Cherbourg et pour compléter sa formation il fréquente assidûment le musée Thomas-Henry de Cherbourg dès son ouverture. Rappelons pour mémoire que ce musée, était alors et est encore un des rares en province à exposer des peintures de la première Renaissance italienne. Ayant obtenu une bourse de la ville, puis du département, il monte à Paris et s'inscrit dans l'atelier de Paul Delaroche. Il fait de nombreuses visites au Louvre et plus particulièrement à la Galerie espagnole de Louis-Philippe. Cette prodigieuse collection qui va nourrir toute une génération de peintres avant d'être rendue aux Orléans par la seconde République.

 

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Les débuts seront difficiles, il connaîtra la misère, sa femme mourra de la tuberculose. La Première salle de l'exposition réunit quelques portraits, ses proches et aussi des figures de Cherbourg. Une pâte riche, un coloris soutenu, ses portraits ne sont pas sans évoquer ceux des grands romantiques, Géricault plus précisément. Il se cherche, s'essaye à la peinture mythologique, au paysage voire même à la peinture galante. De cette période on retiendra le dramatique Terrassiers occupés aux éboulements de Montmartre et surtout Le Vanneur prémonitoire de son œuvre future. Toiles sombres, dramatiques où l'on trouve déjà la sobre dignité qu'il prêtera à ses paysans.

 

Jean-François Millet est essentiellement le peintre de la paysannerie, il n'est pas le seul en ce milieu du XIXe siècle. Le monde agricole devient un genre à part entière, songeons à Charles Jacque, Jules Breton, Constant Troyon, Debat-Ponsan... Son souci de dépasser l'anecdote pour donner au thème une portée universelle l'en différencie. Ses sujets ne sont pas des personnages avec des traits individuels mais des icônes. On remarquera combien les visages de ses fermières, ses bergères, ses laboureurs, ses bûcherons, sont peu individualisés, combien il ne s'attarde pas aux détails des vêtements, combien il stylise les silhouettes parfois presque jusqu'à l'idéogramme : L'Homme à la houe (1860-62), une des toiles les plus saisissantes ici, est caractéristique de son art. Allégorie du travail harassant de la terre, l'homme, les reins cassés, s'offre un moment de répit en s'appuyant sur la houe avec laquelle il défriche un terrain envahi de mauvaises herbes. La silhouette, vue en contre-plongée, domine un paysage plat où dans le lointain des feux consument cette végétation indésirable. Le visage taillé à la serpe, la brutalité contenue de la silhouette, disent la violence d'une vie. Citons Castagnary, l'un des meilleurs critiques du temps : « Ce sol implacable a dévoré son père et sa mère, et les pères de ses pères. Il le dévorera lui-même. » Les Glaneuses qui ont scandalisé une partie de la critique et enthousiasmé l'autre – on les a traitées de « Parques du paupérisme » - fait le constat de la misère paysanne. La version, exposée ici, vient du Japon et, il faut bien l'avouer elle plus faible que celle du musée d'Orsay en dépit ou plutôt à cause de son format en hauteur contrairement à l'original et de son coloris doux qui en atténue l'âpreté. Hiver, les Fagoteuses, et ses paysannes courbées sous le poids des fagots sont tout aussi saisissantes.

 

Millet3Millet n'est pas un réaliste au sens où on l'entendait à cette époque. Toiles, dessins baignent dans une religiosité diffuse qui n'a rien de mièvre nourrie par le souvenir des lectures bibliques de son enfance. Il n'était absolument pas pratiquant, il a même attendu les dernières semaines de son existence pour se mettre en règle avec la religion catholique et épouser religieusement sa seconde épouse. Mais il n'était pas étranger au sentiment de la transcendance. Il faut oublier la piété trop évidente de l'Angélus et retrouver le sens profond de ces mères et leurs petits, véritables madones laïques, ou encore le hiératisme symbolique de La Famille du Paysan (1871-72) où le couple et son enfant, malgré le geste joueur de ce dernier et l'anecdote des poules et du chien en fond, se présente telle une triade sacrée d'une religion primitive. On notera ici une étrange toile, inachevée, Agar et Ismaël, la servante et le fils bâtard d'Abraham chassés par le patriarche – un des épisodes les plus énigmatiques de la Bible - sont étendus sur la terre du désert et agonisent ; toile étrange et puissante sans équivalent à son époque où le drame est peint dans toute sa cruauté.

 

Le regard du peintre sait se faire tendre et, sans le perversité de son modèle, quand il se souvient du XVIIIe siècle en représentant de jeunes mères s'occupant de leurs enfants ou des jeunes filles occupées aux travaux de la ferme : gardeuses de moutons, de vaches, d'oies, de dindons, filant la laine, tricotant, ou même profitant d'un moment de répit et de la canicule pour se glisser nues dans l'eau d'un ru. Mais vues toujours par le prisme de l'exacte réalité, du respect et de la tendresse.

 

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Paradoxalement c'est outre Atlantique que la leçon de Millet sera la plus féconde. De nombreux artistes ayant fait le pèlerinage de Barbizon transmettaient à leur retour la leçon du maître alors que dans son propre pays son œuvre s'enfonçait dans l'indifférence. Edward Hopper présent ici par plusieurs dessins et qui vécut quatre ans à Paris est le plus prestigieux de ces artistes qui se sont nourris de son travail. Les deux vigoureuses copies qu'il fit de l'Homme à la houe en témoignent. Mais plus convaincante encore est son influence sur les photographes documentaires de la Grande Dépression. Les clichés de Dorothea Lange, Lewis Wickes Hine, Arthur Rothstein et Walker Evans d'autres encore montrent un respect et une tendresse proches de ceux de l'artiste. Enfin quelques extraits de films diffusés en boucle montrent que le sens de l'immuabilité de la terre, indifférente au destin humain, qui hante l'œuvre de Millet a inspiré tout un pan de la production hollywoodienne : Le Raisins de la colère, La Porte du Paradis, Les Moissons du ciel, Tess...

Actualité d'un vieux maître...

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

L'homme à la houe, huile sur toile vers 1860/62, Los Angeles © The J. Paul Getty Museum

Paysanne adossée contre une meule, Fusain sur papier beige, 1851/52, Paris, © Musée d'Orsay, dist. RMN-Grand Palais/ Sophie Boegly

Bergère avec son troupeau, dite La grande bergère, huile sur toile, vers 1863, Paris © dist. RMN-Grand Palais, musée d'Orsay/ Michel Urtado.

Dorothea Lange (1895-1965) Destitute pea pickers in California. Mother of seven children. Age thirty-two. Nipomo, California, février ou mars 1936. © Library of Congress, Prints & Photographs Division, Washington , DC

 

 

 

 

 

 

Jean-François Millet

Millet USA

13 octobre 2017 – 22 janvier 2018

Palais des Beaux-Arts, Lille

- Tél. : 03 20 06 78 00

- Internet : www.pba-lille.fr

- Horaires et tarifs : tous les jours sauf le mardi, de 14H à 18h., jusqu'à 20h le vendredi, fermé le 1r novembre, le 25 décembre et le 1r janvier. Le 2 janvier de 10h à 18h. Billets 10€, 8€ et 7€ expositions seules ; expositions + musée 11€, 9€, 8€ ; musée seul, 1€, 4€, 4€.

- Publication : catalogue, 2017, RMN-Grand Palais, 256p., 150 ill., 35€

- Programmation culturelle : Accrochage d'Art graphique, de contemporains de Millet conservés au Palais des Arts et dans des collections privées. Petite galerie. Conférences et visitec guidées, consulter le site du musée.