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Expositions

 

 

 

 

 

Cy Twombly

 

 

 

On faisait la queue au Centre Pompidou pour voir Magritte. En revanche, on se bouscule beaucoup moins dans les salles à côté, où Cy Twombly est exposé. Ces espaces, ouverts sur la ville par de grandes baies et architecturés avec rigueur, plus majestueux, plus vastes dans leur blancheur et leur sobriété, offrent à un public fervent, attentif et nettement moins bousculé, un événement à la hauteur de ses exigences. Et c'est tant mieux pour celui qui recherche le moins convenu, le moins banal, le signifiant. Le plasticien américain, au physique de play boy et qui ne dédaignait pas les joies de la vie mondaine, finit sa vie en Italie près de cette Méditerranée qui l'inspira tant. Artiste rare dont la fréquentation demande silence et concentration, voire recueillement, il a élaboré une œuvre ne supportant guère le tohu-bohu des foules et les encombrements des « grands » événements culturels. Chacune de ses toiles qui à une attention distraite pourrait paraître vide demande un effort pour entrer dans un univers fait de subtiles et discrètes allusions à la culture classique. Paradoxes d'une « vacuité » signe d'un sens profond, riche, comme d'une « maladresse » qui, en fait, suppose une grande maîtrise. Au fond on pourrait regretter que n'ait pas été disposé devant chacune des vastes et claires compositions un canapé où s'abimer.

 

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Art du peu, du léger, les grandes toiles blanches qui marquent les débuts de sa carrière peuvent surprendre avec leur mélange austérité et d'humour. Ce sont d'immenses palimpsestes blancs, ces vélins que, au moyen âge, les copistes des scriptoria monastiques ponçaient pour effacer un texte jugé de peu d'intérêt pour le remplacer par un autre, le texte premier ne disparaissant jamais tout à fait. Cy twombly utilise une peinture industrielle, où les couches ne se recouvrent pas complètement et jouent sur les transparences, il dispose un peu comme au hasard d'énigmatiques traces, mots, dessins, graffitis, gribouillis, matières diverses, affleurements de couleurs en un désordre et une spontanéité rafraîchissants. Ces compositions peuvent déconcerter mais, rapidement, si l'on fait l'effort de rentrer dans leur paradoxale maladresse, leur richesse se dévoile. Il y a du Zen dans la démarche du plasticien, le Zen cette école du vide – vide de la pensée, vide de la signification -, vide nécessaire pour retrouver le sens profond des choses et des êtres. C'est à juste titre que Roland Barthes dit le voisinage d'une œuvre si singulière avec l'art de l'Extrême-Orient : il y a de l'Hokusaï dans l'artiste, l'Hokusaï coupant la tête d'un coq pour dessiner sur un mur avec le sang giclant. Ce n'est, parfois, pas sans humour : Dutch Interior par exemple, se compose d'un désordre de traces, peintures, dessins qui ont peu de chose à voir avec la légendaire netteté des intérieurs hollandais.

 

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Cy Twombly s'inspire des lieux où il a vécu, Lexington dans le sud des états Unis, sa ville natale, New York, l'Italie, Rome, Sperlonga, Bassano in Teverina où il acquit une maison du XVIe siècle etc. Ce ne sont pas vraiment des portraits de lieux au sens où on l'entend habituellement mais plutôt une accumulation de traces de ce qu'il ressentit ici et là. Mais la source principale de son travail se trouve dans une fascination pour les cultures antiques et les références aux cultes, aux événements historiques, à la littérature, de la civilisation gréco-romaine, voire égyptienne, abondent. Il procède par séries de trois ou quatre, voire plus, créations. Compositions abstraites, faites de lignes dynamiques et de textes d'une écriture tremblante se mélangeant de façon parfois paradoxale : la suite dédiée aux grandes déités du panthéon gréco-romain que sont Mars, Venus, Apollon avec leurs inscriptions, assez crades, de toilettes de gare ne correspondent guère à ce que nous imaginons. Loin de suivre une tradition classique bien balisée, l'artiste par ce traitement rugueux rappèle que ces cultes pouvaient donner lieu à des cérémonies choquantes prostitution sacrée, sacrifices sanglants et que la mythologie correspond peu à notre conception d'un texte sacré. On peut s'amuser ainsi à traquer les penis dessinés çà et là ou encore chercher l'inscription « Fuck » qui se cache dans une de ses compositions. Nous sommes loin des divinités de boudoir qui ont fait florès dans l'art occidental. L'antiquité de Cy Twombly n'est pas celle d'un bas-bleu... Il nous donne une lecture moins iréniques de ces temps qui furent d'une brutalité et d'une sauvagerie inimaginables aujourd'hui.

 

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Son art n'est pas cependant détaché de l'actualité. Les neuf toiles consacrées à l'empereur Commode, fils de l'empereur philosophe Marc-Aurèle, qui ne savait régner que par le meurtre, sont contemporaines de l'assassinat du président Kennedy : sur un fond gris d'une grande élégance, taches, éclaboussures de couleurs – rouge du sang, jaune des sanies, blanc du meurtre, noir du deuil – déclinent une dynamique de la violence à la hauteur du traumatisme que subirent alors les états Unis. Dans un autre genre d'idée, citations d'un peintre pour lequel il nourrissait une grande admiration, les bacchanales dessinées du Poussin, collées « maladroitement » sur la feuille de papier, barbouillées de traits, relèvent d'une inspiration identique : la rudesse de temps qui furent loin d'être idylliques, la Rome des empereurs, celle des Papes, opposée à la séduction trompeuse qu'offre une certaine culture classique qu'il connaissait de façon intime puisque sa famille savait le latin.

 

En milieu de parcours, ses sculptures, improbables constructions faites de matériaux de récupération, voilées de toile, enduites de plâtre et peintes en blancs, réunies sur une sorte de podium, composent un ballet tragique, muet ; et l'ouverture de la salle sur la ville d'aujourd'hui par les grandes baies, disent, en un dialogue mélancolique, que les civilisations sont mortelles.

 

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En fin de carrière, il abandonne l'austérité des blancs et des gris pour une déflagration de couleurs qui deviennent de plus en plus vives voire stridentes comme le montre la série en fin de parcours En Chemin. Cy twombly a mené son œuvre loin de ce qui se faisait à New York, il eut quelques peines à s'imposer sur la scène artistique et ces toiles qui nous paraissent si modernes, si actuelles ne furent pas toujours bien accueillies.

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

Dutch Interior, 1962, croyaon à la cire, mine de plomb, huile sur toile. © Cy twombly Foundation, courtesy Achives Nicola Del Roscio

Night Watch, 1966, peinture industrielle, crayon à la cire sur toile, Coll. particulière, courtesy Jeffrey Hoffeld, Fine Arts Inc. © Cy Twombly Fondation, courtesy Chein & Read

Vue de la série Nine Discurse on Commodo, 1963, Guggenheim Bilbao Museo, Bilbao © Cy Twombly foundation

Salle des sculptures, photo de l'auteur © Cy twombly Foundation

 

 

 

 

 

 

 

Cy Twombly

30 novembre 2016 – 24 avril 2017

Centre Pompidou

75191 Paris CEDEX

- Téléphone : 01 44 78 12 33

- Internet : www.centrepompidou.fr

- Horaires et tarifs : tous les jours sauf le mardi de 11h à 21h ; tarifs, 14 et 11 euros, accueil gratuit pour les moins de 18 ans, les moins de 26 ans our les jeunes de l'espace européen, enseignants et étudiants des écoles d'art.

- Publications : Catalogue, textes sous la direction de Jones Storsve, 320 p., 44,9€. Album de l'exposition, par Caroline Edde, 60p., 60 illustrations, 9,50€.

- Autour de l'exposition : visites guidées, ateliers en famille, pour plus de détails consulter le site.