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Expositions

 

 

 

 

Fantin-Latour

à fleur de peau

 

 

 

 

Romantique ? Réaliste ? Impressionniste ? Symboliste ? Rien de tout cela, un artiste inclassable qui a traversé la seconde partis du XIXe siècle poursuivant son chemin, non en solitaire puisqu'il été apprécié de l'intelligentsia parisienne et qu'il avait un public, mais un homme singulier, qui, sans faire d'éclat, a su imposer une vision du monde sereine et exigeante. Maurice Fantin-Latour dont on ne connaissait bien souvent que les célèbres portraits de groupe est exposé au musée du Luxembourg dans la diversité de sa création.

 

Fantin1Maurice Fantin-Latour est né à Grenoble le 14 janvier 1836 dans une famille apparentée à la noblesse, dont le père était artiste peintre. Les Fantin-Latour s'installent à Paris quelques années plus tard et le jeune Henri, qui s'était initié au dessin et à la peinture auprès de son père, suivra un cursus plus officiel à l'école impériale spéciale de dessin et de mathématique puis dans l'atelier d'Horace Lecoq de Boisbaudran, il entrera enfin à l'école des Beaux-Arts mais n'y restera pas. En ce mitan du XIXe siècle, tout jeune peintre se doit de fréquenter le Louvre, véritable université alors, Henri ne faillira pas à la tradition : il admire, il copie, il s'inspire et même fait commerce de ses copies. Il aime particulièrement Delacroix qui n'est pas encore mort. Tout aussi important pour un débutant sont les rencontres qu'il peut faire avec des artistes dont il se sent proche : Degas, Legros, puis plus tard Manet et Whistler ; à noter au registre de ces amitiés formatrices celle de Otto Scholderer qui l'initie à la musique germanique, à Wagner ; la musique sera une de ses sources d'inspiration. Les auto-portraits qui ouvrent l'exposition montrent un jeune homme, au visage sinon tourmenté du moins interrogateur, à la crinière désordonnée – mais rien à voir avec les cheveux longs « artistes » qu'arborent à l'époque la bohème parisienne. Un personnage un peu timide, introverti, qui a, peut-être quelques problèmes avec les femmes : il mettra dix ans, après leur rencontre au Louvre, pour épouser Victoria Dubourg ; de même, ce n'est pas sans paradoxe : désireux, sans doute par timidité, de se passer de modèle vivant en abordant le nu, il collectionne les photos de femmes déshabillées, la pornographie n'est pas loin.

 

Fantin-Latour peindra essentiellement son entourage, sa famille, celle de son épouse, ses amis, plus tard il s'essayera à la représentation de la musique en peinture, et même au nu. Il exécute aussi de nombreux tableaux de fleurs qui assureront sa notoriété dans le monde anglo-saxon. Activité hautement rémunératrice. Ce type d'œuvre est séduisant : palette riche et subtile, construction savamment ordonnée, reproduction impeccable de la réalité, il sait saisir les plus subtiles nuances des plantes. Bouquets, vases, occupent une grande partie des cimaises du Luxembourg. Est-ce bien raisonnable ? Car enfin ce n'est pas ce que l'artiste a fait de plus original ; production séduisante certes mais au risque d'une certaine banalité, nonobstant une virtuosité évidente.

 

Bien plus intéressants sont les portraits de sa famille dont il fait de véritables scènes de genre : Les deux Sœurs (Marie et Nathalie Fantin), l'une lisant, l'autre faisant de la tapisserie, cette dernière détournant un regard rêveur de son travail, sont l'image d'un bonheur paisible, loin des passions du monde. Il aime particulièrement le thème de la lecture qui devient récurrent. Ces figures féminines, cultivées, d'une discrète distinction symbolisent bien un milieu bourgeois sans épate, aux convictions morales et intellectuelles solides. Particulièrement frappant est le portrait de La Famille Dubourg, celle de son épouse : les parents, assis, le regard perdu dans le vide, méditatifs semblent étrangers à la présence de leurs deux filles qui, elles, regardent le spectateur ; la plus proche, en toilette de sortie, achèvant d'enfiler ses gants domine le groupe. La Leçon de dessin dans l'atelier baigne dans la même étrangeté où l'action des deux femmes, comme suspendue, fait écho à la tête antique du premier plan – Ariane sommeillant. Monde grave, serein, immobile où les êtres ont peine a s'extraire de leur moi profond. Le peintre enferme ses personnages dans une solitude mélancolique, une sorte de délectation morose, une vie intérieure froide d'où, pourtant, ne sourd nul sentiment de déréliction ; Oui Fantin-Latour est le peintre du silence et en cela réside son originalité.

 

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Nous avons tous peu ou prou dans la tête ses grandes compositions rassemblant de multiples personnages pour illustrer tel thème. Elles sont reproduites dans tous les ouvrages traitant de l'époque. Mais nous nous avons oublié ce qui faisait leur nouveauté et leur singularité. L'Hommage à Delacroix (1864) - mort l'année précédente - réunit autour de son autoportrait, aujourd'hui au Louvre, peintres, critiques, poètes (Baudelaire). Ils témoignent de l'importance de celui qui a libéré la peinture française de la sclérose et d'une tradition mortifère. Ceci pour le passé, pour l'avenir : Manet, nouveau chef de file, occupe le centre d'Un Atelier aux Batignolles (1870), il vient d'interrompre son travail pour parler à ses amis artistes (Bazille debout surplombe tout le monde) et écrivains ; Coin de table (1872) célèbre pour les deux figures de Verlaine et de Rimbaud reléguées au bout de la table, sinon comme des pestiférés du moins comme des êtres un peu à part, est un peu moins élégamment construit, à la différence de Autour du Piano (Un peu de Schumann) (1885). hommage au grand compositeur allemand certes mais surtout illustration de la musique française d'alors. On voit Emmanuel Chabrier jouer pour un groupe d'amateurs et de musiciens. On y remarque ainsi la haute silhouette de Vincent D'Indy. Thème audacieux pour l'époque où tout ce qui était allemand n'était pas vraiment apprécié. Ces gens finiront par imposer Wagner au public parisien.

 

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On évoquera en parlant de ces groupes les portraits collectifs flamands et hollandais, ceux des magistrats de l'ancien régime. Mais l'ambiance ici est tout à fait différente : il ne s'agit plus de réunir des personnes, plus ou moins gonflées de leur importance et de leur statut social, mais au contraire des intellectuels et  des artistes qui affirment leurs convictions esthétiques sans ostentation. Le choix des personnages, la construction maîtrisée des compositions renforcent la force de ces austères manifestes peints.

 

Bon musicien, brillant amateur, Fantin-Latour a tenté de donner un équivalent plastique à la musique. A-t-il réussi ? Du moins l'a-t-il tenté. On peut rester dubitatif devant l'Hommage à Berlioz peint quelques années après la mort du compositeur ; c'est une toile assez confuse qui voit les personnages de ses opéras orner une stèle de guirlandes. C'est assez convenu et un peu ennuyeux et il n'évite pas toujours le piège du littéral. Plus intéressantes, mais guère convaincantes, les illustrations de Wagner qu'il l'admirait passionnément. Il transforme les Filles du Rhin en sveltes jeunes filles très XVIIIe siècle qui n'ont heureusement rien à voir avec les maritornes en casque à cornes qu'imposaient les théâtres de l'époque : la lithographie retravaillée au pastel sur ce thème est séduisante mais n'a pas grand chose de musical pas plus que la Rencontre de Walther et d'éva n'est spécifiquement wagnérienne.

 

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Le peintre s'est enfin essayé au nu, à la scène de genre. On sait qu'il travaillait essentiellement à partir de clichés pornographiques dont il transcende la vulgarité avec brio. On retrouve l'influence d'un XVIIIe siècle français mâtiné de Renaissance italienne. La peinture se fait plus légère, il travaille par petites touches de couleurs claires qui se chevauchent mais ne se fondent pas, comme des traits de crayon ou de pastels. Une matière aérienne, élégante qui transcende des thèmes bien traditionnels. Cependant tout cela n'est pas très original si l'on songe que c'est contemporain des Nabis, des Symbolistes, bientôt des Fauves.

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

- Autoportrait, 1861, Washington, National Gallery of Art, © courtesy National Gallery of Art

- Coin de table, de gauche à droite Paul Verlaine, Arthur Rimbaud, Elzéar Bonnier, Léon Valade, émile Blémont, Jean Aicart, Ernest d'Hervilly, Camille Pelletan, 1872, Paris, musée d'Orsay © Pmn-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lawandovski

- La Lecture, 1877, Lyon, © musée des Beaux-Arts/Alain Basset

- La Nuit, 1897, Paris musée d'Orsay © Rmn-Grand Palais (musée d'Orsay / Hervé Lewandovski

 

 

 

 

 

Fantin-Latour

à fleur de peau

14 septembre 2016 – 12 fécrier 2017

Musée du Luxembourg

19, rue Vaugirard, 75006

- Tél. 01 40 13 62 00

- internet : www.museeduluxembourg.fr

- Horaires et tarifs : tous les jours de 10h30 à 19h, jusqu'à 22h le vendredi ; Tarifs 12€ et 8,5€ (jeunes, demandeurs d'emploi et familles nombreuses ; gratuit pour les moins de 16 ans et les bénéficiaires des minima sociaux.

- Publications : catalogue, sous la direction de Laure Dalon, Xavier Pey et Guy Tosatto. Éditions RMN-Grand Palais, 256p., 240 illustrations, 35€

- Programmation culturelle : visites guidées, visites en famille, ateliers enfants, contre-visite, « L'art c'est la vie supportable » extraits de ses lettres – samedis 15 octobre, 26 novembre, 7 et 28 janvier à 14h30, atelier d'écriture le 18 novembre. Consulter le site du musée.