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Expositions

 

 

 

 

Albert Marquet (1875 – 1947)

Peintre du temps suspendu

 

 

 

 

 

 

 

 

« Car j'ai de grands départs inassouvis en moi »

Ce dernier vers d'une mélancolie infinie extrait d'un des plus beaux poèmes de la langue française du à son compatriote, Bordelais comme lui, Jean de La Ville de Mirmont, est peut-être ce qui caractérise le mieux la peinture d'Albert Marquet auquel le musée d'Art Moderne de la ville de Paris consacre une magnifique rétrospective. Ce peintre, dont on ne mesure pas toujours la valeur ni la place dans l'art du XXe siècle, toute sa vie, s'est inspiré des ports, de leur poésie déglinguée, de leurs rouilles, de leurs brumes, de leurs fumées, de leurs eaux glauques aux irisations douteuses. Oui Albert Marquet est le poète qui a su le mieux chanter le charme de ces lieux hybrides et sonores qui parlent d'ailleurs, antichambres du rêve et des « grands départs inassouvis ». Et pourtant rien, dans une vie assez lisse et terne finalement comme fut la sienne, ne semble plus étranger à de telles rêveries. Paradoxe de l'art...

 

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Albert Marquet est né à Bordeaux en 1875 dans un milieu modestes. Son père employé des chemins de fer et sa mère, originaire du bassin d'Arcachon ne pouvaient songer à financer de longues études. Enfance solitaire, un peu morose car il souffrait d'un pied bot, avait une mauvaise vue et jouissait de peu de charmes, comme en témoigne un autoportrait où il cligne de l'œil comme un batracien. Sa mère va s'installer à Paris, et ouvrir une boutique de travaux d'aiguilles, pour que le jeune homme puisse entreprendre de sérieuse études artistiques, d'abord à l'école des arts décoratifs puis à l'école des Beaux-Arts, dans l'atelier de Gustave Moreau. Là, il se lie d'amitié avec Matisse, Bussy, Rouault, Manguin, Camoin et d'autres ; en leur compagnie, il va faire des copies au Louvre, il accompagne la bande joyeuse et rigolarde, pour peindre ici et là. Il se laissera aller à quelques « incartades » picturales et finira par se trouver aux côté des « Fauves » dans la fameuse salle du salon de 1905. Le grand nu dit fauve du musée des Beaux-Arts de Bordeaux témoigne de ce compagnonnage : le modèle debout sur un piédestal hardiment mais classiquement brossé se détache d'un fond fait de touches papillonnantes – murs de l'atelier, silhouettes de ses compagnons dessinant ou peignant. Mais ici, malgré les virgules colorées virevoltantes, prestes, pas de couleurs agressives ou arbitraires comme chez ses compagnons plus expressionnistes.

 

 

Son tempérament le pousse ailleurs, vers une simplification des formes toujours plus aboutie, une sobriété des couleurs fluides, posées avec justesse en coups de pinceau précis. Ces tableaux qui nous paraissent si simples, si évidents sont en fait le résultat d'une grande maîtrise qui ne supporte aucune approximation : la touche doit être posée là précisément sous peine de détruire l'harmonie d'une composition faussement simple. C'est du grand art aussi sobre que modeste. Marquet est aussi un des grands dessinateurs du XXe siècle, « Notre Hokusaï » disait Matisse. Il pratique essentiellement un travail à l'encre, plume et pinceau, plein de vigueur, peut-être plus novateur que sa peinture. Croquis rapides qui saisissent l'essentiel du sujet en quelques traits – personnages, paysages, scénettes. Ce travail qui évoque irrésistiblement l'art de l'Extrême-Orient, voire l'ascèse zen, n'est pas sans humour : ah le sœur de Saint-Vincent de Paul ! Le petit garçon en pèlerine bizarrement coiffé qui se presse vers l'école, les hommes, les femmes dans la rue, ces portraits à la limite de la caricature... Là encore il va à l'essentiel, parfois il frise l'abstraction et ses croquis deviennent de véritables idéogrammes comme la Charrette à bras.

 

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Albert Marquet est avant tout un paysagiste et un paysagiste qui avait la bougeotte ; il a beaucoup voyagé. Au début de sa carrière il a bien abordé, de façon convaincante mais assez traditionnelle, la nature morte, le portrait (essentiellement ses proches), le nu, la scène de genre – scènes de bordel entre autres. Rapidement il se cantonne à la représentation de paysages, paysages d'eau - il y a pratiquement toujours un coin d'eau dans ces vues -, paysages urbains, son cher Paris, mais de bords de la Seine, paysage de ports enfin ; ces derniers tiennent une grande place dans sa production et en font une des originalités.

 

Paysages d'eau? Sa démarche est bien différente de celle de Monet qui s'intéresse essentiellement aux reflets de l'eau et des fleurs, à leur miroitement infinis et toujours renouvelé jusqu'aux limites de l'abstraction. Rien de tel chez Marquet qui peindra aussi bien l'eau limoneuse de la Seine débordante que les reflets de l'Île aux cygnes, une mer d'huile que l'eau transparente de la plage du Pyla. De toutes façons, il fuit le pittoresque pour ne s'intéresser qu'à l'intemporel, à l'essentiel : seuls trois palmier dans sa vue d'Alger disent que l'on est au bord de la Méditerranée ; ailleurs, sommes-nous à Bordeaux ? À Stockholm ? Au Hâvre ? À Hambourg ? À Naples ? Qu'importe...

 

Ses débuts furent joyeux et colorés : le 14 juillet au Hâvre qui doit beaucoup aux Impressionnistes, les deux petits marins assis au bord de la plage, les tentes rayées des baigneurs se détachant sur un mur de publicités colorées. Jaunes citrons, rouges sonores, bleus profonds, oranges... Il éteint rapidement cette palette sonore au profit de tons plus assourdis, gris, lilas, mauves, verts bronze, d'une infinie subtilité. Il la réchauffera au soir de sa vie et l'on aimera les petites toiles où il peint des fenêtres, des portes-fenêtres, volets clos, derrière lesquels le soleil tape impitoyable. Adieux à la vie ?

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

- La charrette à bras, 1904, encre de chine et pinceau sur papier, © Bordeaux musée des Beaux-Arts, photo L. Gauthier © ADAGP, Paris 2016

- Port d'Alger (la Douane ou l'Amirauté), 1941, collection A. Akinori Nakayama, © ADAGP, Paris 2016

 

 

 

 

 

 

Albert Marquet

Peintre du temps suspendu

25 mars – 21 août 2016

Musée d'Art moderne de la ville de Paris

11, avenue du président Wilson 75116 Paris

Tél. : 01 53 67 40 00

Internet : www.mam.paris.fr

Horaires et tarifs : tous les jours sauf le lundi de 10h à 18h, nocturne le jeudi jusqu'à 22h. Ouverture les 5, 8, 15 mai 2016. Plein tarif, 12€, tarif réduit 9€.

Publication : Catalogue, Paris, 2016, éditions Paris-Musées, 39,90€

Activités autour de l'exposition : visites conférences, visites pour les mal voyants et les mal entendants, ateliers, pour enfants et pour la famille...