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Expositions

 

 

Marcello (1836 - 1879)

Une femme artiste entre cour et bohème

 

 

 

Un chef-d'œuvre unique dans la production de son auteur. Les amateurs d'opéra qui hantent les couloirs et les dégagements de l'opéra Garnier à Paris, n'ont pas pu ne pas remarquer une statue de bronze étrange qui a trouvé refuge sous le grand escalier : La Pythie. Juchée en équilibre instable sur son trépied qu'assiège un monde répugnant de reptiles monstrueux, la figure gesticule, les seins bondissant hors de sa tunique, la chevelure épaisse dressée comme une couronne, grouillante de serpents... Un rictus halluciné déforme une face qui, au repos, doit être belle. Nulle description ne saurait rendre compte de son énergie, véritable allégorie de l'effroi sacré. La statue est signée d'un nom peu familier : Marcello. En fait, il s'agit d'une femme, d'une femme du monde comme on le disait à l'époque, personnalité étonnante qui défraya la chronique parisienne et romaine sous le Second Empire et les débuts de la troisième république. Le Palais de Compiègne lui dédie une belle exposition qui retiendra l'attention des amateurs de sculpture comme celle des amoureux du Second Empire.

 

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Adélaïde Nathalie Marie Hedwige Philippine d'Affray, dont le portrait en pied accueille le visiteur - en robe de soirée, éventail à la main tandis que de l'autre elle retient une luxueuse cape de soie brodée - voit le jour à Fribourg en Suisse le 6 juillet 1836. Son père, le comte d'Affray, militaire descendant d'une longue lignée qui offrit ses services à la France mais aussi aux états pontificaux, mourut alors qu'elle était âgée de six ans. Elle reçut l'éducation traditionnelle des jeunes aristocrates de son temps, éducation comportant une initiation au dessin et dans son cas à la sculpture. Sa mère la marie à Rome au fils puiné des Colonna. L'époux eut à peine le temps de se voir attribuer le titre de duc de Castiglione-Altibrandi qu'il succomba à la typhoïde en décembre 1859. Adèle se retrouve à vingt trois ans, duchesse, veuve et pauvre, la famille Colonna ne lui servant qu'une maigre pension en dépit des stipulations du contrat de mariage. Au lieu de songer à un remariage, murit en elle une décision étonnante et à bien des égards scandaleuse dans le milieu où elle évolue : gagner sa vie grâce à la sculpture.

 

Marcell1Elle se partage entre Rome, où elle se nourrit de l'Antiquité comme des fresques de Michel-Ange et Paris. Ici, elle fréquente le faubourg Saint-Germain mais aussi les cercles artistiques, celui de Delacroix entre autres. Il lui est cependant impossible de suivre le cursus habituel d'un jeune artiste – un exemple ? En tant que femme, même veuve, il est impensable qu'elle puisse dessiner un nu masculin sur le vif, du moins à l'école des Beaux-Arts de Paris. Elle remplacera cela par des cours privés et les conseils d'amis. Clésinger, le gendre de George Sand et auteur d'une sculpture à la limite de l'obscénité, lui en donnera quelques-uns. À Rome où elle a ses entrées à la villa Médicis, elle admire le Ugolin de Carpeaux, il s'ensuit une amitié destinée à durer toute la vie jusqu'à la mort de l'artiste en 1875. Carpeaux se risquera, en vain, à lui demander sa main. Quand même, une duchesse ! Son buste en terre cuite, frémissant de vie comme habité par l'inspiration, témoigne ici de cette amitié. C'est sans doute un des meilleurs portraits de l'auteur de la Danse. Si nous relatons l'anecdote c'est que la jeune femme hésitera toujours entre une libre carrière artistique et son statut d'aristocrate. C'est ainsi que souhaitant commander son portrait décrit plus haut elle ne s'adresse pas à Manet, qu'elle connaît pourtant bien mais fait appel à un jeune praticien moins sulfureux, édouard-Théophile Blanchard (peut-être moins cher aussi).

 

Dès l'entrée on se heurte à trois bustes féminins juchés sur les piédestaux rouges ; cette cohorte de femmes au regard dédaigneux, lointain, toisant le visiteur occupe le centre de la salle et impose sa présence tout au long de la visite. La blancheur du marbre les rend encore plus inaccessibles et peut-être plus mystérieuses. Les thèmes, la Gorgone, la Bacchante fatiguée, Bianca Capello donnent le ton. Il s'agit de femmes, uniquement de femmes, pas franchement portées à l'humilité – retour du refoulé ? Le Bianca Capello a fait l'objet d'une variante en bronze polychromé d'or et d'argent. L'œuvre fut présenté au salon de 1863 et, pour la première fois, sous la signature de Marcello, pseudonyme adopté en vain, de crainte que son titre ne vienne parasiter sa carrière de sculpteur. Le buste fit sensation par la maîtrise de la sculpture et par l'originalité de la coiffure copiée sur un modèle florentin. La critique fut aussi sensible à la polychromie élégante qui oppose les tons sombres et chaleureux du bronze, à la clarté froide de l'argent et à l'éclat de l'or. Nous sommes à l'époque où plusieurs sculpteurs adoptent la couleur en mélangeant les matières, bronze, marbres colorés, pierres semi précieuses. L'opéra de Paris est typique de cette esthétique qui est une symphonie de couleurs et de matières. L'impératrice Eugénie fera appel à son ciseau pour deux bustes présents plus loin ce qui lui valut d'être invitée trois fois aux fameuses séries de Compiègne ; mais sous le nom de duchesse Colonna, Castiglione n'était pas un patronyme bienvenu ici...

 

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On ne peut pas dire que Marcello fut une grande portraitiste, les bustes de Marie-Antoinette et de l'impératrice Eugénie, bien que techniquement corrects, sont bien figés et froids et à part Carpeaux et le général espagnol Lorenzo Milans del Bosch y Mauri, sculptures modelés dans la terre il est vrai, ce monde reste bien statique. Au fond, et c'est peut-être le plus grand compliment que l'on puisse lui faire, elle ne réussit que quand elle se laisse la bride à son imaginaire : La Pythie bien sûr mais aussi le Buste d'un Chef abyssin ou encore la Mauresque souriante. L'ampleur virtuose des drapés qui vêtent le guerrier, son port de tête hautain, le contraste de l'escarboucle de métal avec le blanc du marbre, sont une réussite et les critiques ne s'y sont pas trompés. De même la chevelure ruisselante, les yeux presque exorbités, la posture extatique de la jeune femme la rendent bien plus séduisante que les dames réelles engoncées dans leur respectabilité.

 

Marcello5La sculpture est un art couteux : les matériaux, marbre, bronze, pierres, les assistants et les aides qu'il faut payer, tout cela revient cher, très cher. Alors, bien que Garnier ait acquis sa Pythie pour l'opéra qu'il est en train de construire, elle tente une reconversion dans la peinture. Elle reçut quelques conseils de Courbet, alors exilé en Suisse à la suite de sa condamnation à la participation de la Commune de Paris. Mais disons-le on comprend un peu le refus du jury d'accueillir la Conjuration de Fiesque pour le salon de 1874. Le tableau fait référence au drame de Schiller dont l'action se passe à Gènes au milieu du XVIe siècle, la scène s'organise de manière pas très claire et assez maladroite. On ne sait pas très bien où on est : à la fin du XIXe siècle lors d'un bal masqué sur ce thème? Une reconstitution de la scène ouvrant le drame ? Mais alors que fait une femme en robe de soirée très 1870? il y a cependant quelques morceaux réussis, la figure du Maure par exemple, mais l'ensemble est assez confus. Il y a aussi quelques approximations anatomiques dans le Portrait de La marquise de Tallenay... De tous ces tableaux, le Chef indien, tire son épingle du jeu par la richesse de sa palette, la vigueur de la touche et la tranquille assurance de la pose.

 

Personnage étonnant, sympathique par certains côté, furieusement anti-démocratique mais si exempte de préjugés par ailleurs. Cette femme complexe a traversé le Second Empire et les débuts incertains de la troisième République sans avoir pu donner sa pleine mesure. C'est dommage...

 

Gilles Coyne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Marcello, La Pythie (détail), bronze, modèle créé à Rome en 1869, exemplaire à demi-grandeur fondu après 1879. Fribourg, Musée d'art d'histoire. © MAHF /

Marcello, Bianca Capiello, Bronze, modèle présente au salon de 1863, Suisse collection particulière, photo de l'auteur

Marcello, Chef indien, huile sur toile, Musée d'art et d'histoire de Fribourg © MAHF / Primula Bosshard

Marcello, Chef abyssin, modèle exécuté à Rome en 1869, marbre, agrafe en bronze et lapis, présenté au salon de 1870, Paris, musée d'Orsay, © RMN-Grand Palais musée d'Orsay / Hervé Lewandovski

 

 

 

 

 

Marcello une femme artiste entre cour et bohème

16 octobre 2015 – 1r février 2016

Musées nationaux du palais de Compiègne

Place du général de Gaulle 60200 Compiègne

Tél. : 03 44 38 47 35

internet : http://palaisdecompiegne.fr

Horaires et tarifs : tous les jours sauf le mardi de 10h à 18h, fermeture les 25 décembre et 1r janvier.

Tarifs, 7,5€ et 5,5€ (ce tarif donne droit à la visite de l'ensemble des collection).

Publications : Catalogue sous la direction de Gianna A.Mina, éditions 5 Continents (Milan), 192p., 35€.

 

Et aussi à partir du 9 mars jusqu'au 4 juin 2016

Musée des Suisses dans le monde

Château de Penthes

18, chemin de l'impératrice

1292 Pregny-Chambézy

Confédération Helvétique

Tel. / 0041 22 73 49 021