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Expositions

 

 

 

Le Corbusier

 

Mesures de l'homme

 

 

 

 

 

 

« Je suis un constructeur de maisons et de palais, je vis au milieu des hommes en plein dans leur écheveau embrouillé » (Le Corbusier, Le poème de l'angle droit).

 

« L'écheveau embrouillé », durant toute son existence Le Corbusier a suscité polémiques et contestations du fait de ses conceptions révolutionnaires dans le domaine de l'architecture et de l'urbanisme. N'a-t-il pas imaginé de raser Paris, sauf quelques monuments emblématiques, type Louvre, Arc de triomphe, Notre Dame... pour bâtir une série de tours le long d'avenues orthogonales, certes hygiéniques et confortables mais passablement monotones ? Ce fut le plan Voisin (1922 - 1925) financé par le célèbre constructeur de voitures. N'a-t-il pas inventé cette formule provocante pour les lieux d'habitations humaines : « machines à habiter » ? Double crime aux yeux de ses contemporains et partant source de rancunes tenaces. Rappelons que la Cité de Briey-en-Forêt faillit être détruite...

 

cit radieuse 2

Cinquante ans après sa mort un autre type de contestation resurgit : cette fois-ci quelques chercheurs ont démontré que l'architecte s'était compromis avec l'extrême droite française fasciste et qu'il avait hanté les couloirs de Vichy pour tenter d'imposer ses idées. On a même parlé d'un « Fascisme architectural » : ses unités d'habitation auraient été une tentative de formatage de l'individu. En réponse à ces excès faut-il rappeler que Le Corbusier est l'auteur d'une des plus belles, sinon la plus belle construction religieuse du XXe siècle, la chapelle de Ronchamp, un poème architectural que l'on vient du monde entier visiter... que ces Cités Radieuses donnaient à des gens qui n'auraient jamais pu se les offrir des habitations d'un luxe et d'une harmonie uniques en leur temps – rappelons encore qu'elles sont contemporaines des sinistres banlieues que l'on bâtissait alors. Et l'intelligentsia ne s'y est pas trompée qui colonise aujourd'hui la « Maison du fada » de Marseille par exemple. En conclusion, disons que s'il est certain qu'il aimait l'autorité, il n'en fut pas moins un homme de dialogue qui sut rassembler autour de lui des sympathisants aussi divers par leur niveau de culture que par leur rang social, sans préjugés, sans morgue. C'était enfin un merveilleux pédagogue, comme le montrent quelques vidéos ici.

 

L'exposition qu'organise le Centre Pompidou montre les différentes facettes d'un artiste encyclopédique : urbaniste et architecte, il fut aussi dessinateur, peintre, designer, écrivain, théoricien. La manifestation s'organise autour d'un espace central consacré au Modulor, une tentative de donner une assise scientifique, mathématique et humaine au concept architectural de base, le module. Voulant jeter les fondations d'une architecture au service de l'homme, il propose de faire reposer le module sur les proportions du corps humain et le nombre d'or. La figuration du concept qu'il utilisera à la fois comme décor et comme signature dans quelques bâtiments emblématiques - le Cité Radieuse mais aussi les bâtiments officiels de Chandigarh – est un superbe tableau d'une simplicité et d'une évidence éloquentes. Ajoutons que le Modulor fut adopté par de nombreux architectes.

 

06-1. le corbusier guitare verticale 1re version 1920 - copie

Rien ne prédisposait Charles-Edouard Jeanneret, né en 1887 - il ne prit le pseudonyme de Le Corbusier qu'en 1920, rejeton d'une famille d'artisans horlogers de la Chaux-de-Fonds en Suisse -, à devenir architecte, encore plus un architecte qui allait révolutionner l'art de bâtir au XXe siècle. Il fit des études à l'école d'art de sa ville pour devenir ciseleur et graveur de boîtiers de montres, puis il bifurque vers l'art de bâtir, il achèvera cette formation, entre autres, dans les ateliers des architectes les plus novateurs du moment tels que ceux d'Auguste Perret à Paris ou d'Alfred Behrens à Berlin. Mais ce qui fut, peut-être, le plus formateur ce sont les différents voyages qu'il fit en Europe et dans le Moyen-Orient. Il en a rapporté de merveilleux dessins où il sait saisir l'essence d'un paysage ou d'un bâtiment d'un trait sûr, d'une grande autorité ; il y fait preuve d'une maîtrise étonnante pour un si jeune artiste. Ces carnets de voyages sont une des découvertes de l'exposition et l'un de ses charmes.

 

Le Corbusier considérait l'architecture comme un art total et l'architecte comme le démiurge, capable certes de bâtir, une maison, un immeuble, mais aussi de concevoir un quartier, de décorer les appartements de tableaux et de dessiner un mobilier efficace, simple et élégant. Son drame ? Il lui fallut attendre la fin de sa carrière pour donner la pleine mesure de son génie social. Jusqu'après la seconde guerre mondiale, il n'a guère travaillé que pour une intelligentsia fortunée – à l'exception remarquable de la Cité Frugès à Pessac dans la banlieue de Bordeaux, à la demande d'un industriel désireux de loger ses ouvriers, le chantier le ruina d'ailleurs, et du Centrosoyouz de Moscou. Merveilleuses villas, Stein (oui le frère de Gertrude la collectionneuse et la mécène de l'avant-garde parisienne), Savoye, l'immeuble Laroche lui aussi grand collectionneur...

 

20. empreinte du modulor - copieLe circuit, chronologique, fait la part belle à l'architecture : plans, films, photos, maquettes tentent de décrire les bâtiments les plus emblématiques avec des fortunes diverses ; peu de gens sont capables de « lire » une élévation, une coupe et surtout d'imaginer l'œuvre finale. Quelques films donnent chair à ces épures. Paris et sa banlieue, riches en bâtiment corbuséens, offrent cependant la possibilité de les voir grandeur nature. Pour les Unités d'habitation il faudrait aller à Marseille, Nantes et Firminy cette dernière ville possède un véritable ensemble urbain avec, outre la Cité, un stade, une maison de la culture et une église ; enfin près de Vesoul et de Lyon l'église de Ronchamps et le couvent d'éveux-sur-l'Arbresle sont de superbes constructions religieuses. Sans oublier près de Bordeaux la cité Frugès restaurée à grands frais. C'est un bon moyen pour le profane de découvrir une architecture qui en dépit des apparences n'est pas simplement fonctionnelle mais au fond profondément lyrique.

 

Les tableaux sont d'un abord plus accessible. Le Corbusier a toujours mené de pair une double carrière de bâtisseur et de plasticien, l'une enrichissant l'autre. Dans les années trente il consacrait sa matinée à la peinture et il avait aménagé dans son appartement rue Nungesser et Coli un atelier qui était peut-être la partie la plus vivante de la maison. Après la seconde guerre mondiale, il aborde la sculpture et pour cela s'associe avec le sculpteur Savina. C'est, peut-être la partie la plus discutable de sa production. Dans ses débuts, il partageait les valeurs esthétiques de Ozenfant, avec qui il avait fondé « le Purisme », tentative d'une esthétique pour le XXe siècle qui, comme son nom l'indique, prône l'alliance de formes pures et de la figuration. Si ses premiers tableaux sont austères et rigoureux, il évoluera vers un baroque assez humoristique : ses nus féminins n'ont rien à envier aux drôlesses que Picasso peignait à la même époque. Il frôle même le surréalisme.

 

cit radieuse 3Les meubles, conçus avec son cousin Pierre Jeanneret et Charlotte Perriand, sont devenus des classiques et peuvent encore être acquis aujourd'hui – enfin pour ceux qui en ont les moyens. La chaise longue à réglage continu est, au même titre que la chaise Barcelona de Mies Van der Rohe, un des phares du mobilier contemporain... En plus c'est confortable, ce qui n'est pas toujours le cas avec le design d'aujourd'hui.

 

Personnage complexe, bizarre, séduisant et repoussant à la fois, esprit toujours ouvert, curieux, homme qui aimait son temps et la modernité, Le Corbusier est difficile à cerner et à appréhender dans sa richesse. C'est une gageure de l'enfermer dans le cadre d'une exposition nécessairement parcellaire. Le Centre Pompidou a-t-il gagné pleinement son pari? Laissons au maître le soin de conclure : « ...le romantisme du mal fichu... »

 

 

Gilles Coyne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

- Sur le toit de la Cité radieuse, Marseille, crayon et aquarelle, dessin de l'auteur de l'article

- G. Thiriet, empreinte du Modulor dans le béton, photographie © FLC, ADAGP, Paris 2015

- Le Corbusier, Guitare verticale (1ère version), 1920, huile sur toile, 100 X 81cm © FLC, ADAGP, Paris 2015

- Lampadaire de la Cité radieuse, Marseille, crayon et aquarelle, dessin de l'auteur de l'article

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Corbusier

Mesures de l'homme

29 avril – 3 août 2015

Centre Pompidou, 75191 Paris cedex 04

- Tél. : 01 44 78 12 33

- Internet : www.centrepompidou.fr

- Horaires et tarifs : Tous les jours sauf le mardi de 11h à 21h ; 11 et 13 € selon l'horaire, tarif réduit 9 et 10€, valable pour tout le jour. Le billet donne accès aux collections permanentes et aux autres expositions.

- Publications : Catalogue sous la direction d'Olivier Cinqualbre et Frédéric Migayrou, 256p., 42€. Album sous la direction de Maïlis Favre, 60p., 80 ill., 9,50€. Le Corbusier a été beaucoup étudié, la librairie de l'exposition propose une série quasi exhaustive d'ouvrages sur le maître.

- Autour de l'exposition : films, ateliers pour les enfants et les familles, consulter le site du Centre.