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Expositions

 

 

 

 

Deux sculpteurs du Second Empire

 

 

Le dix-neuvième siècle est celui de la sculpture. Outre ses fonctions traditionnelles en architecture, elle envahit l'espace urbain dans des proportions inconnues jusqu'alors. Se développe alors une véritable folie de célébration des « grands hommes » sous cette forme : jardins, places, rues se peuplent d'une foule de personnage plus ou moins célèbres, en pierre, en marbre, en bronze. L'épidémie atteint les intérieurs bourgeois qui ne sauraient se concevoir sans un encombrement de statuettes, de bibelots, d'objets usuels sculptés. La période du Second Empire est un âge d'or qui est dominée par deux maîtres exceptionnels : Carrier-Belleuse et Carpeaux. Deux expositions l'une au Palais de Compiègne, l'autre au musée d'Orsay à Paris présentent leurs oeuvres.

 

 

 

 

1 - Carrier-Belleuse (1824-1887), le maître de Rodin à Compiègne

 

 

 

Le visiteur de l'Opéra Garnier à Paris quand il entre dans la vaste cage d'escalier qui dessert la salle et les foyers ne peut pas ne pas remarquer les deux superbes torchères qui s'élèvent au départ des rampes : à chaque côté, deux dames, plus grandes que nature, demi nues, drapées de linges aux froissés élégants, un putto, soutiennent des bras de lumières. Rares sont ceux qui peuvent donner un nom à l'auteur de ces magnifiques ensembles, Carrier-Belleuse. Le musée du Palais de Compiègne, siège des fastes du second Empire, illustre les multiples talents de ce créateur, qui ne fut pas seulement le portraitiste de la société de l'époque, un sculpteur talentueux, mais aussi aborda et rénova les arts décoratifs.

 

cb bacchante-2 - copieÉvidemment les deux pièces dont nous venons de parler n'ont pas fait le voyage ici, nous devrons nous contenter des agrandissement photo-graphiques des plâtres originaux accrochés sur les parois de l'escalier d'honneur qui conduit aux salle d'exposition. On regrettera l'absence de ces témoins importantes, nous devrons nous contenter d'une esquisse en terre où le maître cherche encore la forme définitive. C'est évidemment la faiblesse - comment faire autrement? – de la manifestation qui ne peut qu'évoquer cet aspect de la sculpture monumentale.

 

Né en 1824 dans l'Aisne, Albert-Ernest Carrier – il ajoutera, plus tard, Belleuse à son patronyme pour se distinguer du peintre homonyme Carrier - reçoit une première formation dans des ateliers d'orfèvres avant de fréquenter les cours du soir de l'école royale gratuite de Dessins et de Sculpture d'ornement - il devait travailler le jour, sa famille s'étant appauvrie. Il garda de cette formation une goût virtuose pour rendre certains détails - cf le superbe buste en terre cuite de Marguerite Bellanger, avec le rendu du fichu bordé de dentelles et les roses accrochées au corsage . Il mène de front et avec brio plusieurs carrières, de sculpteur bien entendu mais aussi de décorateur inventif dans des domaines aussi variés que la petite plastique (nom noble donné aux bibelots), la céramique comme l'orfèvrerie.

 

En 1851, c'est à dire encore jeune, il devient le directeur de la très fameuse fabrique de porcelaine de Minton en Angleterre et, plus tard en 1876, il est nommé directeur des travaux de la manufacture de Sèvres, sans parler de l'atelier qu'il anime – véritable entreprise avec de nombreux col-laborateurs - ni de son travail avec la maison Christoffle. Il est partout et comme tel, il est l'un des inventeurs et l'un des illustrateurs du style second Empire. Il multiple objets et œuvres d'une facture éblouissante de virtuosité qui souvent ne reculent ni devant la surcharge décorative, ni devant la polychromie.

 

Le groupe en marbre Bacchante de 1863, qui fut acheté par Napoléon III sur sa cassette personnelle, représente une nymphe honorant d'une libation la tête d'un hermès satyre. Il est nécessaire de dépasser le regard moderne qui risque de trouver ce groupe assez grotesque (la femme nue qui s'enroule autour de l'hermès, sa chair un peu fatiguée...) pour en apprécier le réalisme étonnant, la sensualité et même un côté un peu dérangeant ; car enfin ces deux personnages font carrément l'amour par regard interposé... Il faut comparer la statue avec la réduction que le maître en fit à destination d'un public plus nombreux : par une torsion du corps moins expressive, un léger décalage des têtes et des regards, Carrier-Belleuse atténue ce que pouvait avoir d'inconvenant le groupe pour décorer un intérieur de l'époque.

 

cb leda et le cygne-1 - copie

 

 

Ce fut un portraitiste très demandé - portrait formait le fond de la clientèle d'un artiste à l'époque -, la famille impériale, de grands bourgeois, des banquiers, des militaires, de hauts fonctionnaires etc. ont posés devant lui, on leur préfèrera quelques figures de gourgandines second Empire infiniment plus piquantes. Le buste que nous avons évoqué plus haut représente Marguerite Bellanger, le dernier amour de Napoléon III, qui, dit-on, l'épuisa par son tempérament robuste et insatiable. En rendant justice à la beauté et la vitalité de cette femme charmante, le sculpteur a su dépasser son aura sensuelle en lui prêtant comme un fugace sentiment de mélancolie. On remarquera, dans le même registre, deux statuettes de La comtesse de Castiglione en reine d'étrurie. qui sont le souvenir d'un des nombreux scandales qui émaillèrent la carrière de la dame (voir Un Regard, une image).

 

cb coupe-1 - copieEntre le réalisme ou le néoclassicisme des sculpteurs contemporains, voire l'expressivité de son grand rival Carpeaux, Carrier-Belleuse joue une partition originale : il renoue avec le charme du XVIIIe siècle que les frères Goncourt relancent, voire avec l'esthétique du maniérisme renaissant. Ses femmes au long corps mince, à la poitrine menue et ferme, au visage allongé et fin sont les sœurs des nymphes de Fontainebleau plus que celles de Clodion. Leur élégance, leur fluidité rattrapent bien souvent une composition trop riche. La Coupe de 1887 est une réussite qui mêle porphyre, porcelaine, argent et basalte noir et qui nécessita pour sa réalisation par moins de trois praticiens. Sa Léda et le cygne, où la sinuosité du corps de la femme épouse celle du long col du volatile, s'inspire au point d'en reprendre la composition d'une œuvre de Michel-Ange connue par de nombreuses gravures du XVIe siècle.

 

On ne saurait évoquer dans le cadre de cet article, les multiples facettes d'un créateur aussi abondant que divers. Cependant on ne saurait passer sous silence son œuvre graphique si originale pour l'époque. Carrier-Belleuse utilise la craie sur un papier préparé plus sombre, une technique utilisée surtout par les artistes nordiques de la Renaissance. Cette technique rappèle celle de la pâte d'application qu'il introduisit dans la production de la manufacture de Sèvres : c'est à dire une façon de poser sur le fond coloré de la pâte liquide plus ou moins épaisse selon le volume du sujet. Un peu ce qui se faisait dans la fabrique de Wegdewood en Angleterre mais en plus subtil.

 

Et Rodin dans tout cela? Il accéda à l'atelier de Carrier-Belleuse, très jeune, c'est là qu'il se forma, se perfectionna et devint u des collaborateurs les plus proches du sculpteur – ils travaillèrent ensemble sur certains projets. Si son génie dépasse et de loin celui de son maître, on ne saurait nier ce que ce cernier lui a apporté. Un jeune ouvrier est rentré, un artiste complet en est sorti ; quelques bustes sont là pour illustrer cette évolution.

 

Gilles Coyne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

- Bacchante, marbre, 1863, Paris, musée d'Orsay © RMN Grand Palais/René-Gabriel Ojeda

- Léda et le cygne, terre cuite, c. 1870, New-York, Metropolitan Museum, © The Metropolitan Museum of Art, dist. RMN-Grand Palais / image du MMA

- Carrier-Belleuse, Taxile Maximin, Doat, Claudius Marioton, Coupe, 1886, Porphyre rouge, argent fondu, porcelaine à pâte d'application, obsidienne, Paris, Musée d'Orsay, © RMN-Grand Palais/Droits réservés

 

 

 

 

 

 

 

 

Carrier-Belleuse

Le maître de Rodin

22mai – 27 octobre 2014

Palais de Compiègne

Place du général de Gaulle 60200 Compiègne

Tél. : 03 44 38 47 00

internet : www.musee-chateau-compiegne.fr

Horaires et tarifs : tous les jours, sauf le mardi, de 10h à 18h, ouvert le 14 juillet et le 15 août ; plein tarif 9,5 €, tarif réduit, 7,5€.

Renseignements et réservations :service des publics, 03 44 38 47 02 ; fax, 03 44 38 47 01 ; Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Publication : catalogue, 2014, RMN, 192p. 35€ ; dossier pédagogique à destination des Enseignants téléchargeable gratuitement sur le site internet.

Animations culturelles, consulter le site du palais