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Expositions

 

Jean Baptiste Vanmour

Peintre de la Sublime Porte

 

 

 

 

Qui se souvient de jean Baptiste Vanmour (1671-1737) en dehors de quelques cercles de spécialistes? Et pourtant il eut une influence certaine sur la peinture orientaliste. Valenciennes la ville où il est né il y a plus de trois siècles organise la première exposition qui lui ait jamais été consacrée.

Jean Baptiste Vanmour est né le 9 janvier 1671. Son père était ébéniste, « escrinier » ainsi que l'écrivent les archives, et la famille de sa mère comptait plusieurs artistes. On ignore tout de sa formation ; sans doute s'effectua-t-elle dans l'entourage familial. Très jeune encore il quitte sa ville natale pour Paris, de là il s'embarque pour Istanbul en 1699 engagé comme peintre par le nouvel l'ambassadeur de Louis XIV auprès de la Sublime Porte, Charles de Ferriol, baron d'Argental. il se mettra au service des ambassadeurs français suivants et aussi des diplomates des autres pays européens, des voyageurs et des commerçants jusqu'à son décès en 1737. Dans la première salle trois tableaux rapportent les cérémonies qui marquaient la remise des lettres de créances. Représentations très précises : Le pilaf offert aux janissaires – cette armée d'élite chargée de la sécurité du prince qui parfois se révolta voire l'assassina ; le banquet offert à l'anbassadeur et à sa suite par le grand vizir ; enfin l'audience du sultan assis sous un dais accompagné de ses fils, tandis que le diplomate et sa suite s'avancent soutenus sous les bras ainsi que l'exigeait le protocole de Topkapi.

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Réception de l'ambassadeur de France, comte d'Andrezel par le Sultan Ahmed III le 17 octobre 1724, à Constantinople : l'audience du Sultan, Bordeaux Musée des Beaux-Arts. © MBA Bordeaux, cliché Lysiane Gauthier.

L'artiste, qui était à la tête d'un atelier important (on a compté jusqu'à 7 mains différentes), a beaucoup produit : le marquis de Ferriol ramènera 100 toiles en France, il y en avait plus de 60 à Venise, Il en reste aujourd'hui près de 60 à Amsterdam. On a signalé d'autres fonds importants en Angleterre, en Suède, en Russie etc. Cette énorme production, où les copies médiocres exécutées par les aides voisinent avec les productions du maître, a presque entièrement disparu, victime des changements de mode, du désintérêt. De temps en temps une toile ressurgit qui accroît la courte liste des survivants du naufrage.

Pourtant, paradoxalement Vanmour va avoir une influence très importante sur le développement de l'orientalisme. Le marquis de Ferriol, à son retour en France finance la publication d'un recueil de 100 gravures à partir des tableaux en sa possession : scènes de genres (de la rue à l'alcôve en passant par la mosquée ou les bains), portraits des représentants de toute la société (du Sultan au porteur d'eau). Ce fut un succès! L'ouvrage fut réédité pendant tout le XVIIIe siècle en France et à l'étranger. Les graveurs effaçant sans vergogne le nom du peintre pour le remplacer par le leur. Devant la rareté des renseignements sur la Turquie, cet ouvrage devient un catalogue de motifs pour les artistes : de Antonio et Francesco Guardi à Venise, qui s'en sont abondamment inspirés voire l'ont copié, jusqu'à monsieur Ingres qui, en plein XIXe siècle, s'en est servi pour son Bain turc et ses Odalisques... On peut affirmer, sans exagération, que pendant plus d'un siècle le regard de l'Europe sur la Turquie sera celui de Vanmour.

Istanbul, sous le règne de Ahmed III, vivait une période heureuses que l'on nommera « l'ère des tulipes » : l'empire des Osmanlis semble à son apogée. La décadence a déjà commencé mais cela ne se sent pas encore. La ville est un « melting pot » de religions et de nationalités : Musulmans, Juifs, Chrétiens se côtoient. On rencontre des Italiens, des Arméniens, des Grecs, des représentants des différentes peuples des Balkans et du Moyen-Orient. Au point que les Turcs sont minoritaires dans leur capitale.

 

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Mariage grec, Amsterdam, Rijksmuseum. © Rijksmuseum Amsterdam
Vanmour va les peindre tous : l'exposition montre par exemple trois mariages, un arménien, un grec enfin un turc ; des danses grecques, les hommes d'un côté, les femmes de l'autre ; un pique-nique de femmes turques devant une fontaine ; le repas des Derviches... Il s'intéresse au palais, le sérail comme la cuisine, à la rue et ses petits métiers... La colonie étrangère, qui vit à Pera et à Galata de l'autre côté de la Corne d'or, forme l'essentiel de sa clientèle et on lui doit sans aucun doute le choix des sujets : ce sont des souvenirs, des cartes postales en quelque sorte. Il portraiture Lady Montagu avec son fils, la toile est exposée ici. Celle qui a laissé une relation assez piquante de son séjour à Istanbul, est représentée debout, vêtue à la turque, devant un sofa.

Les tableaux ne sont pas de grande taille, il fallait pouvoir les caser facilement dans les bagages. L'influence du théâtre est évidente : les intérieurs sont organisés comme des décors avec, pour les salons où se réunissaient les femmes, l'estrade et les baies en toile de fond, des rideaux formant portants, les paysages sont traités de la même manière – voir la scène de pique-nique. Même le paysage à droite de Lady Montagu ressemble à une toile de fond. On a envisagé une influence de Claude Gillot qu'il aurait rencontré à Paris avant son départ. Les personnages sont peints de façon minutieuse et raffinée : silhouettes allongées, à la limite du maniérisme. Remarquer les musulmanes qui escortent la mariée chevauchant sous un dais dans le Mariage turc : têtes petites, visages voilés de gazes impalpables qui ne cachent pas grand chose, allure élégante et souple : on comprend le succès du peintre. Dans les scènes de réunions féminines, qu'elles soient grecques, turques ou arméniennes, les femmes, à l'embonpoint marqué (on ne se repaît pas de lokoum et de halva impunément), confortablement étendues ou assises sur des coussins, vêtues de souples mousselines devaient paraître délicieusement exotiques voire immorales aux yeux d'Occidentaux, engoncés dans leurs costumes pour les hommes, torturées par leur corset pour les femmes. Vanmoor a su jouer des sentiments ambivalents que les Européens portaient envers leurs voisins Orientaux : fascination pour leur liberté d'allure, réprobation de ce que l'on appelait à l'époque « mollesse ».

Finalement, ce charmant peintre en dit beaucoup plus sur les rapports Orient/Occident, que ne le laisserait présager l'agrément de ses peintures.

 

Gilles Coÿne

 

 

Jean Baptiste Vanmour, peintre de la Sublime Porte

23 octobre 2009 – 7 février, 2010

Musée des Beaux-Arts

Boulevard Watteau, 59300 Valenciennes

Tél. : 03 27 22 57 20

Fax : 03 27 22 57 22

internet : www.valenciennes.fr (culture/Musée)

Publication : Seth Gopin, Evelyne Sit Nicolaas : Jean Baptiste Vanmour. Peintre de la sublime Porte 1671-1737. - Valenciennes, 2009, Musée des Beaux-Arts, 216 p. 33€.