Imprimer

Expositions

 

 

 

Loutherbourg (Strasbourg, 1740 – Londres 1812)

Tourments et Chimères

 

 

Personnage étrange que ce Philippe-Jacques de Loutherbourg (Strasbourg 1740 – Londres 1812), peintre de son état, pour lequel le musée des Beaux-Arts de Strasbourg a vidé les trois quarts de ses salles pour exposer l'essentiel d'une oeuvre dont les éditions Arthéna viennent de publier le catalogue raisonné. L'histoire de sa vie ressemble à celle d'un petit maître de l'époque digne d'inspirer un Chauderlos de Laclos, voire un Louvet de Couvray... Qu'on en juge : né à Strasbourg d'un père graveur et miniaturiste, il suit ce dernier quand il s'installe à Paris. À dix-sept ans il entre dans l'atelier du peintre spécialisé dans les scènes militaires, Casanova (oui le frère le l'autre), et, comme l'écrira Diderot, qui parfois maniait la litote, il ... n'était pas mal avec sa femme... Il s'acoquine avec une des plus jolies femmes de Paris, courtisane à ses heures perdues, pour escroquer un capitaine de navire histoire de lui réunir une dot. Il s'ensuivra un procès retentissant que les amants-associés perdront. Ils se marièrent eurent beaucoup d'enfants. Là s'arrête le conte de fée (?) : l'irascible mari battait sa femme comme plâtre au point de la faire avorter. Il fallut se séparer. Devant une telle accumulation de scandales Loutherbourg doit quitter Paris ; il s'installe à Londres fin 1771. C'est ce qui le sauva en tant qu'artiste.

 

 

1.le troupeau ou paysage avec animaux_2 - copie

 

 

Car il faut bien le dire, s'il n'y avait que sa production parisienne, notre peintre n'émergerait guère au milieu des nombreux artistes talentueux qui travaillaient à Paris alors. En dépit des éloges de Diderot dans son compte rendu du salon de 1769 : « Loutherbourg a un grand talent, je ne lui refuse pas même du génie. » Sa production très habile et pleine de fougue n'est guère originale. Il est vrai qu'il était si jeune! Ses paysages sont pittoresques, charmants, peuplés de bovins pensifs, de paysannes accortes et souriantes, de jeunes bergers insolents. La lumière de l'heure y est bien rendue et les arbres frémissent aux zéphyrs avec beaucoup de grâce. De même ses scènes de tempêtes « affreuses » sont à faire peur : Le navire qui se fracasse contre les rochers et se disloque, les naufragés qui s'accrochent au roc, les paysans qui viennent à leur secours. On se croirait dans un conte de Marmontel... On devine aisément qu'il cherche à se mesurer au grand spécialiste de l'époque, Joseph Vernet. Non sans succès d'ailleurs. De même la scène de bataille du musée de Cholet construite sur une pyramide de cavaliers et de chevaux blessés ou agonisants peut se concevoir comme un défi – réussi - à son maître, Casanova. C'est d'ailleurs cette toile qui lui ouvrit les portes de l'Académie en 1767 ; il a vingt-sept ans!

 

7.coalbrookdale sm - copie

 

 

Des couleurs agréables, une pâte fluide, un dessin plein d'aisance, le succès est immédiat. Mais il ne suit guère le conseil de Diderot : « Ne quitte ton atelier que pour aller consulter la nature. » Il accumule les toiles charmants comme celles du musée des beaux-arts de Bordeaux où, entre autres, une paysanne délurée bombarde de noyaux de cerises un garçon faussement apeuré. Il est en passe de devenir le Boucher de sa génération.

 

Il s'installe à Londres où sa qualité de Protestant n'est pas un handicap. Dans les premiers temps et pendant dix ans, Loutherbourg se tourne vers la décoration théâtrale. Les toiles, les costumes et les lumières qu'il imagine pour le théâtre de Drury Lane impressionnent les contemporains par leur souci de véracité et leur expressivité. En cela il se situe à l'avant-garde d'un art qu'il renouvelle. Il utilise les connaissances acquises dans ce domaine et son expérience de paysagiste pour imaginer une sorte de théâtre miniature l'Eidophusicon où se déroulent des scènes animées « intéressantes » et qui pouvaient donner à penser : levers et couchers de soleil, éruptions volcaniques, tempêtes et même une scène du Paradis Perdu de Milton où l'on voyait Satan haranguer ses troupes. Il préfigure ce que seront au XIXe siècle les panoramas, vastes espaces circulaires où le spectateur était plongé au coeur du l'action. Plus tard viendra le cinéma...

 

 

Loutherbourg a trouvé à Londres un monde qui sans doute correspondait mieux à une certaine inquiétude qui le travaillait nonobstant son arrivisme. Un univers où les forces obscures de l'humanité avaient leur place. Il hébergera quelques temps Cagliostro et se mettra à son école avant de se brouiller avec lui et même il tentera, quelques mois, une carrière de guérisseur par la prière qui tourne rapidement au fiasco et quasiment à l'émeute.

 

6.avalanche_2 - copie

 

 

L'artiste, qui en 1781 a été élu membre de la Royal Academy, a toujours mené une carrière picturale en parallèle. Mais les sujets qu'il traite se ressentent de sa familiarité avec le théâtre. Ses paysages prennent une dimension tragique voire fantastique : quand il peint le site industriel de Coalbrookdale la nuit c'est une vision infernale qu'il propose. Les bâtiments se détachent sur un fond de nuées rouges terrifiantes, tandis qu'au premier plan, s'affaire dans l'ombre une humanité laborieuse, comme frappée d'une sombre malédiction. On retrouve les mêmes nuées rougeoyantes en fond de toile représentant le grand incendie de Londres, en contrepartie du premier plan obscur occupé par les foules terrorisées se réfugiant sur la Tamise au risque de se noyer. Ses forêts sont peuplées de bandits attaquant les voyageurs et les rescapés de ses tempêtes n'échapperont pas aux naufrageurs qui les guettent pour les tuer et les dépouiller : un peu de noirceur n'a jamais abimé un tableau!

 

Loutherbourg a su proposer aux Anglais un type de paysage nouveau, plus réaliste et cependant empreint de mysticisme, le fameux « sublime » des poètes. Il voyageait pour se documenter, et, bien que ses peintures aient toutes été réalisée dans son atelier, on y trouve une sorte de naturel bien éloigné des affèteries de sa période parisienne. Mais une dramatisation théâtrale double un sentiment de la nature pré-romantique : Une avalanche? C'est bien entendu la force brutale d'un éboulis de glaces et de rochers qui ravage tout sur son passage, c'est aussi un groupe éploré que les rocs en emportant la passerelle de bois ont brutalement séparé. Les Chutes du Rhin à Schaffhausen reste sans aucun doute le paysage le plus réussi et une des oeuvres les plus intéressantes de l'exposition. La dramaturgie de la toile est basée sur le fort contraste entre l'agitation des eaux furieuses du rapide qui se cognent et grondent entre les rochers déchiquetés et le calme environnant : la bonne Suisse, bien placide ; les pécheurs qui vaquent ; un couple élégant qui aborde là après une promenade tandis qu'un autre couple de villageois s'apprête à le remplacer.

 

5.les chutes du rhin de schaffhausen_2_2 - copie

Dans ce court article nous avons pratiquement négligé toute une partie l'oeuvre : les sujets bibliques, les batailles, navales ou terrestres, les thèmes littéraires. Tous sujets qu'il a pratiqués mais qui n'ajouteront rien à sa gloire. Il n'a pas fait mieux, ni pire que ses contemporains : toiles aussi habiles que vides. Loutherbourg reste aujourd'hui, après une longue éclipse de près de deux siècles, un merveilleux peintre de paysage...

 

 

Gilles Coyne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Troupeau ou paysage avec animaux, 1767, Musée de Strasbourg. Photo M. Bertola

Coalbrookdale la nuit, 1801, Londres, ScienceMuseum © Science Museum/SSPL

Une Avalanche de glace dans les Alpes, 1803, Londres Tate © Tate, Londres 2012

La Chute du Rhin à Schauffhausen, 1788, Londres Victoria & Albert Museum © V & A Museum

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Loutherbourg, tourments et chimères

17, novembre 2012 – 18 février 2013

Musée des beaux-Arts,

Palais Rohan

2, place du château, Strasbourg

- Tél. : 0388525000

- Internet : www.musees.strasbourg.eu

- Horaires et tarifs : jusqu'au 31 décembre tous les jours sauf mardi de 10h à 18h ; en 2013 les lundi, mercredi, jeudi et vendredi de 12h à 18h. Tarif unique pour le musée et l'exposition 6€, 3€, tarif réduit ; gratuité la premier dimanche de chaque mois.

- Publication : Livret de l'exposition, 16 p., 6€

- Autour de l'exposition, consulter le site du musée